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Les Ombres de Gaia
Genre : romance
Rating : PG
Année : mars-avril 2001
Un bruit violent la fit sursauter, une clameur jaillit de l’extérieur, des appels. Hitomi se leva d’un bond, et courut à la fenêtre. Un homme couvert de sang venait d’arriver dans la cour, il tomba de son cheval et s’écroula à terre. « Des médecins ! Vite ! Appelez le roi ! ».
Hitomi sortit de sa chambre en courant, et se précipita à l’extérieur. Van et Allen étaient déjà là, tous deux près du blessé. Hitomi les rejoignit, et reconnut l’emblème de Fleid.
– Nous étions en route quand nous avons été attaqués…des…démons invisibles…impossible de se défendre…J’ai pu m’échapper…les autre se battent encore…aidez-nous…
– Votre position ! Donnez-nous votre position ! s’écria Van.
Mais l’homme était tombé dans l’inconscience. Van et Allen se regardèrent un instant.
– On ne peut rien faire, fit Allen. Nous ne savons pas où ils sont !
– Mais on ne peut pas les laisser se faire massacrer !
Van bondit vers Escaflowne et monta dessus à toutes vitesses.
– Van ! appela Allen. Ça ne sert à rien ! Tu ne sais même pas où tu vas !
– Ils ne sont peut-être pas loin !
– Emmène-moi avec toi !
A ce cri, Allen et Van se retournèrent et s’aperçurent seulement de la présence d’Hitomi.
– Tu es folle, répliqua Van en secouant négativement la tête. Il est hors de question que tu te mettes en danger.
– Et qu’est-ce que tu es en train de faire, là, Van ? Je suis venue pour vous aider ! Et je peux t’aider, maintenant ! Je t’indiquerai où ils sont.
– J’ai dit que je ne t’utiliserai plus pour me battre !
– Ce n’est pas pour te battre, c’est pour sauver des vies ! Tu n’as pas le choix !
Allen regarda Hitomi d’un air sévère.
– Hitomi, il est hors de question que…
– Monte, fit Van en tendant la main.
Allen se tourna violemment vers lui, sidéré et furieux : « Mais enfin Van ! Tu ne vas quand même pas la laisser… ».
Mais Hitomi avait déjà attrapé la main de Van. A cet instant, l’énergist d’Escaflowne se mit à briller violemment, sans que les deux jeunes gens s’en rendent compte. Van hissa Hitomi derrière lui, et sembla décrocher quelque chose de l’intérieur du guymelef. Lentement, il tendit son pendentif à Hitomi, et pour la première fois depuis son arrivée, la regarda dans les yeux. « Tu risques d’en avoir besoin », dit-il. Hitomi acquiesça sans un mot, le prit et l’accrocha autour de son cou. « Tiens-toi bien ! cria Van. On y va ! ». Hitomi l’attrapa par la taille, et le guymelef prit son envol. « Où est-ce qu’on va ? » demanda Van. Hitomi ferma les yeux, se concentra, puis indiqua le sud. « Par là ! Mais…» « Que se passe-t-il ? Tu as une vision ? » « Non, mais quelque chose est étrange…Je sais que c’est par là mais c’est comme si le pendentif voulait nous emmener ailleurs ! » « On verra là-bas ! Accroche-toi, je passe en vitesse supérieure ! ».
Allen les regarda s’éloigner. Sa colère se calma, et un étrange sourire naquit sur ses lèvres. « Que peut-il leur arriver, de toutes façons ? Ils sont ensemble. »
Il fit demi-tour et donna l’ordre à tous de se remettre à leur poste en attendant le retour du roi. Par une fenêtre du palais, Elianor fronçait les sourcils.
Après quelques minutes de vol, Van finit par se détendre un peu. La présence d’Hitomi derrière lui, ses bras qui s’accrochaient à sa taille lui mettaient les nerfs à vifs. Concentrée, elle ne bougeait pas, ne disait rien. Il avait l’impression d’être revenu trois ans plus tôt. Van se reprocha alors ses regrets. Il n’avait pas à en avoir. Après la guerre, il épouserait Elianor, et donnerait un héritier au royaume, un royaume pour toujours en paix. Tout serait parfait.
Il sentit soudain les mains d’Hitomi se crisper.
– Que se passe-t-il ?
– Je…je ne sais pas…Oh, Van, dépêche-toi, je t’en prie ! Je…je sens…
Elle ne termina pas sa phrase, et poussa un hurlement. « Là ! En bas ! ». Van baissa la tête, et serra les dents.
Sur des dizaines de mètres, dans la lueur crue du soleil, des corps. Des centaines de corps, les uns sur les autres, enchevêtrement de chair et de métal, guymelefs et pilotes, rouge sang. « Un véritable massacre », murmura Van.
Il sentit Hitomi cacher son visage dans son dos, et l’entendit pleurer doucement. « A peine quelques heures qu’elle est là, pensa-t-il, le cœur serré, et elle souffre déjà. Gaia n’est pas un monde pour elle. »
Mais elle se redressa d’un coup. « Van ! cria-t-elle. Ils…Cid…Fleid…Vite ! Ils…ils veulent tuer Cid ! C’était ça que voulait le pendentif, nous emmener directement à Fleid ! Il faut empêcher ça, Van ! »
Van fit faire un demi-tour serré à Escaflowne et fonça droit dans la direction de Fleid. Il y en avait pour plusieurs heures de vol, mais Escaflowne était sûrement plus rapide qu’une armée de guymelefs, et ils y seraient à temps. Le problème, c’était qu’à lui tout seul, même avec Escaflowne, il ne pouvait pas arrêter une armée. Et il ne pouvait pas faire de détour pour aller demander un escadron spécial à Fanélia, qui, de toutes façons, arriverait trop tard. Il se creusait la tête pour trouver une solution, lorsque soudain, une idée jaillit dans son esprit :
– Hitomi ! Est-ce que tu pourrais me dire où se trouve le premier détachement de l’armée d’Astria ? Dépêche-toi !
Hitomi se concentra.
– Plus au nord, près d’une chaîne de montagnes bleues.
– Parfait ! Ce n’est qu’un détour d’une petite heure qu’on rattrapera facilement.
– Tu veux les envoyer à Fleid ?
– Oui.
Hitomi se tût un instant, comme si elle réfléchissait intensément.
– Mais, Van…Tu attendais ces renforts pour une attaque dans quelques jours, non ? S’ils vont à Fleid, tu ne pourras pas exécuter ton plan…
– Ce n’est pas grave. On le remettra à plus tard. Il est hors de question de laisser Cid.
Hitomi n’ajouta rien, et ils restèrent silencieux très longtemps.
– A quoi penses-tu ? finit par demander Van.
– A ces hommes de Fleid. Ils laissent derrière eux des gens qui les aimaient. Pourquoi cette guerre, Van ? Je croyais…Je croyais qu’ils avaient compris…la dernière fois…Est-ce que Dornkirk avait raison ? Est-ce que le seul désir des hommes est de combattre ?
– Non, Hitomi. Ce n’est pas tout à fait ça. Dornkirk a disparu, mais ses héritiers sont restés : quatre Sorciers ont survécu, et ils ont pris le contrôle de Bazhram par le biais d’un contrôleur de Destin. Je ne sais pas exactement ce qu’ils veulent, mais ça a encore un rapport avec les Atlantes. Ils ont déclaré la guerre à Fanélia, Astria et Fleid en même temps. Les autres royaumes ne veulent pas s’en mêler.
– Il faut détruire ces Sorciers ! s’écria Hitomi avec ferveur.
Etonné par la passion soudaine de la jeune fille, Van acquiesça sans un mot et ils atteignirent le premier détachement d’Astria peu après.
Les soldats, surpris, s’inclinèrent devant le jeune roi. Le capitaine du détachement accourut.
– Majesté…
– Une armée est en marche vers Fleid, annonça Van sans préambule. Il faut que vous y alliez sans tarder.
– Mais les ordres…La contre-attaque…
– Le plan est changé pour vous. Nous vous attendons à Fleid. Dépêchez-vous.
A peine quelques secondes plus tard, Escaflowne était de nouveau dans les airs. Hitomi garda le silence quelques temps, mais finit par demander :
– Mais Van…S’ils ne voient pas l’armée de Bazhram…ça ne servira à rien !
– C’est là que j’ai besoin de toi.
– De moi ?
– Oui. Tu sais, les choses ont évolué depuis ton départ. Les Mages de Fleid ont fait des recherches sur la puissance Atlante. Au centre du temple de Fortuna, sous la statue, il y avait une autre salle qui cachait un multiplicateur. Si on décuple la puissance de ton pendentif, on devrait pouvoir les démasquer.
– Tu veux dire que si je les cherche comme je le fais d’habitude, la puissance multipliée les fera complètement apparaître ?
– Quelque chose comme ça, oui. Ça nous évitera beaucoup de morts inutiles.
Hitomi sourit sans répondre. Van était toujours le même. Il y eut un long silence, et la jeune fille finit par réaliser que quelque chose semblait le perturber.
– Qu’est-ce qui ne va pas, Van ?
Il ne répondit pas tout de suite, et Hitomi commença à s’inquiéter.
– Ça pourrait être dangereux, dit-il enfin. Je ne sais pas si tu pourras contenir la puissance que le pendentif dégagera, et ce qu’il t’arrivera dans ce cas-là. Tu n’es pas obligée de le faire. Si tu as le moindre doute…
– Je n’ai pas peur, affirma-t-elle.
Puis après une pause, elle ajouta :
– On a survécu à tellement de choses. Je n’arrive pas à imaginer qu’il pourrait m’arriver quoique ce soit.
– C’est là le danger, Hitomi ! s’écria Van, un peu en colère. Il ne faut pas se relâcher. Un seul instant d’inattention, et l’ennemi peut te tuer. C’est quelque chose que tu ne dois pas oublier.
– Mais Van, répliqua doucement la Terrienne, tu seras là.
Van serra plus fort les rênes en signe de contrariété. Elle ne comprenait pas, ou elle ne voulait pas comprendre ! Ce n’était plus pareil. Il avait tellement de choses à faire, à penser, tellement d’indications à donner, tellement de gens à protéger. Il n’était plus libre.
– Je ne serais pas toujours là pour te protéger, Hitomi, dit-il.
Et sans attendre une éventuelle réplique, il ajouta :
– Tu devrais te reposer, maintenant. Il reste encore quelques heures avant Fleid, et il vaut mieux que tu sois en pleine forme.
Sans rien dire, Hitomi se blottit au fond d’Escaflowne. Van se sentait furieux, sans savoir réellement pourquoi. « Je la mets en danger, et après je lui dis que je ne pourrais pas la protéger ! Bon sang, mais quel idiot ! Mais elle ne comprend pas… ».
C’était difficile pour Van de se comprendre lui-même. Il y avait cet étrange sentiment au fond de lui qui lui ordonnait de la protéger ; il ne se sentait pas responsable d’elle, comme il se sentait responsable de tous les habitants de Fanélia, et même de Fleid et d’Astria ; non, c’était différent : c’était naturel, c’était inscrit en lui, quelque chose d’aussi évident que de respirer. Il devait protéger Hitomi. Et malgré tout ce qu’il avait à faire, il ne pouvait pas se mentir, ni se leurrer : si elle courrait le moindre danger, il laisserait tout tomber pour aller la sauver. Il le savait, et il se sentait furieux de ne pas être plus fort.
De longues heures passèrent, sans qu’ils ne se parlent presque plus, et à part un arrêt pour manger un peu des baies trouvées dans une forêt, Escaflowne vola sans interruption. Vers la fin de l’après-midi, Van commençait vraiment à fatiguer, et Hitomi qui n’avait osé rien dire jusque-là, lui proposa de se reposer.
– Non, dit-il. Ce n’est pas la peine. D’ailleurs on arrive en vue de Godazim.
En effet, quelques minutes plus tard, ils se posaient dans le jardin du palais royal. Van et Hitomi sautèrent au sol, et à peine quelques instant après, le jeune Cid, nouveau Duc de Fleid, même pas âgé d’une dizaine d’années, accourait à leur rencontre. Reconnaissant Hitomi, un sourire ravi illumina le visage du jeune Duc.
– Hitomi ! Vous êtes revenue ? Quelle joie !
– Bonjour, prince…euh…duc. Je suis heureuse de vous revoir.
– Bienvenue également à vous, Van.
Van inclina la tête en signe de remerciement, puis entra dans le vif du sujet :
– Cid, je suis désolé de vous l’apprendre ainsi, mais les renforts que vous avez envoyés ont été décimés par les armées de Bazhram avant d’atteindre Fanélia.
Le visage du garçon pâlit, il baissa la tête.
– Quelle perte ! murmura-t-il. Je regrette qu’ils n’aient pu vous aider.
– Leur mort est malheureuse, mais un danger pèse sur Fleid. Hitomi a eu une vision.
En quelques mots, Van relata la vision de la jeune fille, et le plan qu’il avait mis au point. Cid l’écouta avec attention, et hocha gravement la tête.
– C’est une excellente idée. Mais d’après vos dires, l’armée de Bazhram n’arrivera pas avant demain, et il va bientôt faire nuit. Soyez mes hôtes, et au matin vous pourrez vous rendre au temple de Fortuna.
Van accepta l’invitation, et, tandis qu’il rangeait Escaflowne, Cid et Hitomi rentrait au palais où le jeune roi les rejoindrait.
– Je suis heureux de votre retour, Hitomi, dit Cid. Votre présence va grandement nous aider. J’ai toujours pensé que Van et vous…
– Duc, le coupa doucement la jeune fille, je ne suis là que pour la durée de la guerre. Après je rentrerai chez moi.
– Oh, fit-il, apparemment déçu. J’aurais pensé…Mais laissons cela. Voici votre chambre, installez-vous et venez nous rejoindre dans la salle à manger.
Cid s’éloigna, Hitomi entra dans la chambre qu’on lui avait attribuée. Elle était belle, mais Hitomi ne s’y sentait pas vraiment à l’aise. Son dernier séjour à Fleid restait intacte dans sa mémoire, la prison, et surtout la plongée dans l’esprit du sorcier Morph qui avait failli lui être mortelle. Ce jour-là, Van lui avait sauvé la vie.
Van.
Il semblait si inquiet, si préoccupé. Merle avait raison : il avait beaucoup trop de choses sur les épaules. Tellement de préoccupations. Et elle venait s’ajouter à tout. Il devait se sentir responsable d’elle, et elle ne voulait pas qu’il ait une inquiétude de plus. Il fallait qu’elle apprenne à s’en sortir toute seule.
Un instant, elle regretta d’être revenue. Elle regretta de ne pas être simplement sur Terre, avec Shinji, Yukari et Amano, tranquille, rire avec eux, sans soucis.
Mais ça ne dura qu’un instant. Elle chassa cette idée très vite, sortit de sa chambre et, avec l’aide d’un serviteur qui la guida, alla jusqu’à la salle à manger.
Elle ouvrit doucement la porte.
– Je ne comprend sincèrement pas ce qu’ils cherchent ! Ils attaquent sans stratégie, changent de cible tous les jours… !
Van marchait de long en large en s’agitant. Cid, assis, l’écoutait avec attention. Ils ne semblaient pas avoir remarqué la présence d’Hitomi.
– Croyez-vous qu’ils cherchent encore le moyen de contrôler le destin ? demanda Cid.
– Je ne crois pas. Ces Sorciers se moquent de nous. D’après les espions, ils ont recréé une Pythie, de faible ampleur, afin de contrôler l’esprit des habitants de Bazhram. Mais leur façon de faire la guerre est absurde. En fait, c’est comme si ils avaient un but précis.
Van arrêta de tourner en rond, et fronça les sourcils.
– Oui, c’est comme si ils cherchaient à provoquer quelque chose…A obtenir quelque chose… Je ne suis pas sûr, mais…Si seulement on pouvait savoir ce que c’est !
Il leva les yeux, et aperçut Hitomi. Cid tourna la tête, la vit également et lui proposa de s’asseoir et de manger quelque chose. Van la suivit des yeux, sourcils toujours froncés. Le pendentif luisait doucement autour du cou de la jeune fille. Il la fixa pendant un certain temps, jusqu’à ce que, intriguée, elle lève les yeux et le regarde.
– Qu’est-ce qu’il y a, Van ?
– Et si…commença-t-il, et si…
Mais il se tût, cette idée était absurde, complètement absurde et sans fondement.
– Et si quoi ? demanda Cid.
– Non, rien. En fait, rien.
Il s’assit à son tour, et resta silencieux. D’abord étonnés, Cid et Hitomi finirent par respecter son silence et bavardèrent joyeusement ensemble.
Van fixait son assiette, incapable de manger, obsédé par cette idée stupide dont il n’arrivait pas à se débarrasser. Et si leur but, c’était le retour d’Hitomi ? Si cette guerre, c’était juste pour qu’Hitomi revienne sur Gaia ?
Mais pourquoi auraient-ils voulu ça ? On ne déclare pas une guerre uniquement pour faire revenir quelqu’un…Et puis, de toutes façons, comment auraient-ils su qu’elle serait revenue ? Non, décidément, cette idée était vraiment absurde. Pourtant, il éleva soudain la voix pour s’adresser à la jeune Terrienne :
– Hitomi ! Est-ce que tu peux lire ton avenir ?
Elle leva les yeux vers lui, son regard vacilla comme si la question la troublait, mais elle finit par répondre d’une voix lente :
– Je ne le fais plus.
– Pourquoi ?
Elle eut un sourire étrange, comme un peu triste.
– Tu as oublié ? demanda-t-elle. On ne peut pas contrôler le Destin. Si on essaye, il se révolte et choisit la pire des solutions. On peut juste essayer de choisir par soi-même.
Elle baissa les yeux, fixa la table, et continua :
– Si j’essaye de lire mon futur, il risque de se réaliser. Et s’il est mauvais, pour moi ou pour les gens que j’aime, je veux laisser une chance que ça ne se passe pas comme ça. C’est pour ça que je ne le fais plus.
Il y eut un silence autour de la table.
– Dans mes visions, je ne vois plus le futur, mais le présent, ajouta-t-elle. Je peux voir les pensées des gens, et leurs intentions, si elles sont bonnes ou mauvaises. Mais je ne peux pas dire si ce qu’elles projettent se réaliseront. Dans la pensée unique des soldats de Bazhram, j’ai vu Fleid brûler et Cid mort. Mais c’était seulement leur pensée, et une pensée qui deviendra un futur probable, puis une réalité si nous ne faisons rien.
Elle regarda de nouveau Van.
– Et c’est pour ça que nous sommes là, n’est-ce pas ? Pour empêcher ce qui pourrait arriver. N’est-ce pas, Van ? insista-t-elle.
Il acquiesça sans un mot.
– Alors qu’importe mon avenir, dit-elle.
– Je comprend, répondit-il simplement.
Hitomi se leva alors. « Je vais me coucher », dit-elle. Cid lui souhaita une bonne nuit. Avant de passer la porte, elle se tourna vers Van une dernière fois.
– Van, tu peux retourner à Fanélia. Je me débrouillerai toute seule. Je ne risque rien, et tu as probablement autre chose à faire.
Le jeune roi se leva d’un coup, comme si ce que venait de dire Hitomi l’avait personnellement blessé, et elle recula d’un pas.
– Nous sommes en guerre, Hitomi ! Je vais là où se trouvent les solutions pour protéger mon peuple. Je suis responsable de lui, tu comprends ? Je dois le protéger, et faire tout pour qu’il ne lui arrive rien. Tu as vu toi-même que la cible de Bazhram était Fleid, et c’est à Fleid que se trouve le moyen d’enrayer cette guerre infernale ! Je suis donc ici. Allen est à Fanélia, et j’ai confiance en lui. Ne t’occupe pas de ce que je fais.
– Désolée.
Blessée par la réaction de Van, la jeune Terrienne sortit, mais la voix du roi l’arrêta encore.
– Hitomi ! Attends.
Elle se tourna vers lui, en évitant son regard.
– Je ne suis pas aussi sûr que tu ne risques rien, et je préfère être là. Quoique tu dises, ton avenir importe. Je ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose.
Elle esquissa un sourire, et une lueur s’alluma dans son regard. Lueur que Van éteignit l’instant d’après en ajoutant :
– Tu es probablement encore une fois notre seul espoir d’arrêter cette guerre.
– Oui, bien sûr, fit-elle d’une voix un peu amère.
Elle tourna les talons, marcha d’un pas rapide jusqu’à sa chambre et s’y enferma. Soudain furieuse, elle fixa son reflet dans la glace, et comme s’il s’agissait de Van, lui parla à voix haute : « Je suis votre seul espoir d’arrêter la guerre, n’est-ce pas ? Oh, Van tu n’as pas changé. Ça n’a jamais aucune implication personnelle, avec toi ! Tu agis toujours au nom de quelque chose, à te protéger derrière des prétextes grandioses ou les décisions que prennent les autres. Mais tu ne dis jamais ce que toi tu penses réellement. Nous ne sommes pas obligés de nous regarder comme des étrangers, même si…nous…ne nous…aimons…plus. » La voix d’Hitomi se brisa sur ces derniers mots, des larmes silencieuses et soudaines coulèrent sur ses joues, et quelque chose lui oppressa le cœur. Elle s’allongea sur le lit en fixant la Lune et la Terre à travers ses pleurs. « Nous pouvons être amis, n’est-ce pas, Van ? Rester amis. Tout cela est fini, derrière nous. Nous pouvons rester amis. Ça ne risque rien, n’est-ce pas, Van ? Juste des amis. » Hitomi ferma les yeux et se recroquevilla sur elle-même.
Lorsqu’il n’entendit plus les pas d’Hitomi dans le couloir, Van se tourna vers la fenêtre, perdu dans des pensées incohérentes, désordonnées, furieuses. Une voix d’enfant s’éleva soudain, et il sursauta. Il avait oublié la présence de Cid.
– Vous avez fait exprès de la blesser, n’est-ce pas ? Pourquoi ?
Van ne répondit pas tout de suite, détourna les yeux, semblant réfléchir lui-même à la raison de son comportement ; puis se décida :
– Nous sommes dangereux l’un pour l’autre, dit-il.
Puis il sortit sans ajouter un mot. Cid resta longtemps assis à se demander pourquoi les gens agissaient de manière si étrange, quelle était cette force qui leur faisait blesser ceux qu’ils aiment, cette force qui les séparaient des gens qu’ils aiment ? Cette force absurde qui les faisait mentir ? « La raison », murmura-t-il pour lui-même.
Cid baissa les yeux. La raison, bien sûr.
Cette même raison qui avait fait de lui le fils et l’héritier du Duc de Fleid.
Cid se leva et alla à sa chambre, demandant à tous de le laisser tranquille.
Il enleva sa si lourde couronne, la posa sur une chaise aux dorures brillantes, et grimpa sur son trop grand et trop haut lit. Il s’assit au milieu des draps aux armes de Fleid, et fixa devant lui le reflet dans le miroir, ces courts cheveux blonds, ces yeux bleus à l’expression si grave et ce visage d’enfant sérieux qui avaient été ceux d’un autre avant lui, ceux d’un ex Chevalier Céleste d’Astria qui avait eu la folie d’aimer une princesse promise à un autre.
Un ex Chevalier accusé d’un double meurtre.
Cid cacha son visage dans ses genoux et se mit à pleurer. A cet instant, il n’était plus qu’un petit garçon abandonné, perdu, à la recherche d’une identité.
Hitomi coure à toutes vitesses le long de la route déserte. Là-bas à l’autre bout, la cérémonie pour le mariage de Yukari et d’Amano va bientôt commencer, et elle ne peut pas se permettre d’être en retard. Un bruit de moteur rompt soudain le silence, une moto s’arrête à côté d’elle et Allen retire son casque pour lui proposer de l’emmener. Elle accepte, monte et s’accroche à lui. Moins de quelques secondes plus tard, il la dépose devant une esplanade où des centaines de personnes sont réunies, puis disparaît sur sa moto. Hitomi grimpe les marches en courant, et en haut, Yukari l’accueille en criant :
– Mais où tu étais ?
– Je suis désolée, je ne voulais pas être en retard pour ton mariage.
– Qu’est-ce que tu racontes ? C’est toi qui te maries !
Hitomi se rend compte alors qu’elle est dans une robe de mariée typique d’Astria, et une joie profonde lui étreint le cœur. Bien sûr, elle se marie ! Elle fronce les sourcils, soudain, elle ne sait plus avec qui. Mais au bout de la rangée, Shinji, en costume, l’attend. Un sourire illumine le visage d’Hitomi, elle se marie, et elle se marie avec Shinji ! Elle s’avance vers lui, prend sa main. Le prêtre ressemble étrangement à Dornkirk. Mais qu’importe, dans le public, Yukari, Amano, Mirana et Allen, présent lui aussi avec Cid, lui sourient.
Un cri soudain la fait se retourner, « Maaaaaaaaiiiiiiiiitre Vaaaaaaaaaaan ! ! »Van monte les escaliers, la regarde et tente de l’appeler, mais s’effondre en haut de la dernière marche. Merle surgit alors et le secoue en pleurant pour qu’il se relève. Il est couvert de sang, et Hitomi coure vers lui en ignorant les appels de Shinji. Elle s’agenouille près de Van en l’appelant, il ouvre les yeux, la regarde. « Escaflowne s’est rebellé contre moi, dit-il dans un souffle. Je vais mourir. » Hitomi se met à pleurer. « Non ! crie-t-elle. Tu ne mourras pas ! Tu n’as pas le droit de mourir le jour de notre mariage ! Lève-toi, Van, nous devons nous marier ! » Mais Van secoue la tête. « Je suis désolé, dit-il. Si tu ne m’avais pas abandonné, ça ne serait pas arrivé. Tu aurais dû revenir plus tôt. Maintenant je vais mourir. » « Non ! hurle Hitomi en larmes. Tu ne mourras pas ! Je vais changer ton Destin ! Je vais le modifier ! » Un rire démoniaque résonne derrière elle, le prêtre était bien Dornkirk, l’empereur déchu de Zaïbacher qui s’élève maintenant dans les airs. « Que ton souhait soit exaucé ! » fait-il d’une voix terrifiante.
Hitomi ressent une soudaine brûlure à la poitrine. Elle est maintenant sur Gaia. Et elle se regarde. Elle se voit morte, allongée dans l’herbe, Van la secoue pour la réveiller, le regard du jeune roi est égaré. « Comme c’est étrange de se voir morte, pense-t-elle. Ne t’inquiète pas, Van, je vais bien. » Une main se pose sur son épaule tandis qu’elle regarde avec inquiétude Van se rendre fou à vouloir ressusciter son corps dans l’herbe.
– Tu as échangé ta vie contre la sienne, dit Folken.
– Ah, alors j’ai réussi, fait Hitomi, soulagée. Il ne mourra pas. Est-ce qu’il sera heureux ?
– Il aura des moments de bonheur.
– C’est tout ce que je veux. Qu’il soit heureux.
– C’est ce qu’il désire pour toi aussi.
– Il n’aura plus à s’inquiéter de moi, maintenant.
Et Folken disparaît tandis qu’Hitomi s’approche de Van qui hurle son nom avec désespoir. « Je suis là, Van, dit-elle. Ne t’inquiète pas. Je vais bien. »
Hitomi ignora la main tendue de Van et monta toute seule sur Escaflowne. Il était tôt, mais il fallait agir vite. Cid était là avec sa suite, l’air fatigué, mais un sourire sur les lèvres.
– J’ai confiance en vous, dit-il. Revenez après avant de repartir pour Fanélia.
Van acquiesça d’un signe de tête, Hitomi le remercia, et le dragon s’envola vite en direction de Fortuna. Hitomi ne disait rien, le rêve qu’elle avait fait durant la nuit la perturbait. Elle ne savait pas ce qu’il voulait signifier. Van ne rompit le silence que pour annoncer leur arrivée au temple. Les prêtres les guidèrent jusqu’à la source d’énergie.
– Nous ne la contrôlons pas, prévinrent-ils. S’il arrive quoique ce soit, nous ne pourrons rien faire pour l’en empêcher.
Van jeta un coup d’œil à Hitomi, qui, elle, fixait au sol le cercle représentant Gaia. « Tu es prête ? » demanda-t-il. Elle acquiesça sans un mot, et se plaça au centre du cercle.
Un prêtre entra précipitamment. « Les armées de Bazhram sont là ! Le détachement d’Astria vient d’arriver aussi ! ».
Sans attendre, Hitomi leva le pendentif au-dessus de sa tête et ferma les yeux. Le cercle se mit à briller, et une colonne de lumière rose l’entoura bientôt, une pure énergie. Hitomi sentit cette énergie la pénétrer de toute part, et se concentrer dans le pendentif, au creux de son esprit, et grandir, grandir. Elle vit bientôt les armées de Bazhram, mais les dépassa. Il ne suffisait pas de les découvrir, il fallait détruire la sphère qui les contrôlait. L’énergie se décupla encore, et Hitomi se rendit compte qu’elle commençait à perdre le contrôle du pendentif, et que sa propre force à elle se mêlait au pouvoir atlante. Elle se vidait lentement de son énergie. Un instant, elle eut peur et voulut reculer, mais chassa vite cette idée. Qu’importait sa vie, alors qu’elle pourrait par son Pouvoir détruire la machine infernale qui avait de nouveau provoqué cette guerre, et enfin Gaia serait en paix. Définitivement. Elle se força à poursuivre sa recherche dans cet univers noir et effrayant, guidée par la seule lueur de son pendentif d’énergist.
Van la regardait se battre seule dans le cercle, avec un peu d’appréhension. Un prêtre arriva de l’extérieur pour annoncer que les armées de Bazhram étaient maintenant visibles, qu’Hitomi avait réussi. « Reviens, maintenant ! » murmura Van, inquiet. Mais Hitomi ne semblait pas vouloir revenir dans son corps. Elle continuait à utiliser l’énergie atlante. Et soudain, une souffrance violente, brute mais fugace étreignit le cœur de Van. Et il sut à cet instant même qu’Hitomi ne s’en sortirait pas, qu’elle allait mourir, comme une vérité profonde qui serait née soudain au fond de lui
– Arrêtez ça ! hurla-t-il au prêtre. Vous ne voyez pas qu’elle est en train de s’épuiser ? Ramenez-la immédiatement !
– Nous ne pouvons rien faire, Majesté ! répondit l’un d’eux, paniqué. Je vous avais dit que nous ne la contrôlions pas ! Si la jeune fille ne veut pas revenir d’elle même, nous ne pouvons pas l’obliger à le faire !
Van lâcha un juron, et avant même que les prêtres aient pu l’en empêcher, il se jeta au milieu du cercle et plaça ses mains autour de celles d’Hitomi.
Dans l’univers noir qui l’entourait désormais, il apercevait Hitomi au milieu, illuminée d’une lueur intérieure, suivant la lumière rose du pendentif.
– Hitomi ! appela-t-il.
Elle se retourna, et en le voyant, s’étonna.
– Van ? Qu’est-ce que tu fais là ?
– Reviens, Hitomi ! Tu vas mourir !
– Mais Van, je ne peux pas. Je l’ai trouvée !
– De quoi parles-tu ? Attends-moi !
Il courut vers elle, et elle l’attendait en tendant la main. Mais la distance semblait si longue, entre eux, il avait beau courir, il n’arrivait pas à le rejoindre, et son image s’éloignait de lui.
– Hitomi ! Attends !
– Dépêche-toi, Van ! Je…
L’image d’Hitomi commençait à s’effacer, et il comprit qu’elle était en train de mourir. Affolé, il sortit brutalement ses ailes et piqua droit vers elle. Il l’atteignit enfin, la prit dans ses bras, contre lui.
– Tu es là, Van, je sens ton énergie, dit-elle d’une voix moins faible.
– Je suis venu te chercher.
– Pas encore, Van ! Regarde…je l’ai trouvée !
Il tourna alors la tête et vit la machine créée par les Sorciers qui flottait au milieu de cet univers. « Tu la vois ? » demanda Hitomi. Il acquiesça. « Aide-moi à la détruire, Van. Toute seule je ne pourrais pas. »
Sans un mot, Van serra les mains de la jeune fille dans les siennes. « Allons-y », dit-il. L’un contre l’autre, ils se concentrèrent sur cette unique pensée, détruire la machine, détruire la machine, détruire la machine…, et une fantastique énergie jaillit de leurs mains jointes, de la communion de leur forces se complétant parfaitement, grossit pour créer une énorme boule rose de puissance brute qui se projeta contre la machine, et fit exploser l’univers noir.
A des centaines de kilomètres de Fortuna, un Sorcier regardait avec calme la Pythie éclater. Puis il sortit lentement de la pièce, rejoignit les deux autres. « Tout se passe comme prévu. Le Dragon et la fille de la Lune des Illusions ont uni leur force, et ont utilisé le pouvoir de l’esprit pour détruire la machine. Nous pouvons continuer l’expérience. »
Van ouvrit les yeux. Il était allongé sur Hitomi, tous deux par terre, elle avait encore les yeux fermés. Il se rappela l’explosion, puis…plus rien.
– Majesté ! Vous n’êtes pas mort ! fit l’un des prêtres, soulagé. Vous avez été projeté tous les deux hors du Cercle et…
Van s’écarta d’Hitomi, et sans plus écouter les prêtres, la secoua pour la réveiller. Elle ouvrit les yeux péniblement, et fixa sur lui un regard un peu flou. Van, profondément soulagé en constatant qu’elle n’avait rien, sentit monter en lui une sourde colère issue de la peur terrible qu’il avait ressenti pour elle.
– Mais tu te rends compte de ce que tu as risqué ! explosa-t-il. Tu aurais pu mourir ! On te demandait juste de révéler les armées, pas de détruire la sphère !
– On a réussi, prononça Hitomi sans prêter attention aux paroles de Van. On a réussi…
– Oui, on a réussi, mais qu’est-ce qui ce serait passé si tu avais été toute seule ? Est-ce que tu te rends compte que tu as failli mourir ? !
– Mais, Van, on a réussi…
Furieux, il se leva. « Là n’est pas la question, jeta-t-il. On aurait pu s’occuper de la sphère plus tard, avec plus de préparation ! Tu as risqué ta vie pour rien ! »
Et il sortit d’un pas rageur. Hitomi se releva avec l’aide d’un prêtre, déçue, triste.
– Je ne voulais pas le mettre en colère, dit-elle.
– Il a eu très peur pour vous, dit le prêtre. Il s’est jeté d’un coup dans le Cercle lorsqu’il a compris que vous ne reveniez pas.
Hitomi partit en courant à la recherche de Van. Encore une fois, il était venu la sauver. Il fallait qu’elle lui parle, qu’elle lui explique qu’elle ne voulait pas l’inquiéter…Elle le trouva près d’Escaflowne. Il regardait l’horizon, sa colère semblait être retombée.
– Van…je…
– Regarde.
Elle s’approcha alors, et suivit le regard de Van. Là-bas, sur l’horizon, on distinguait les bannières des trois armées, Fleid, Astria, Bazhram. Et elles étaient immobiles, elles ne se battaient pas. Un calme étrange régnait autour d’elles.
– Que…Qu’est-ce qu’il se passe ? Il n’y a pas de bataille !
– La sphère a été détruite, et donc les Sorciers n’ont plus d’emprise sur l’esprit des soldats de Bazhram, dit Van d’une voix neutre. Ils n’ont plus de raison de se battre. La guerre est finie.
Pendant qu’elle réalisait ce qu’il disait, il se tourna vers elle.
– Bravo, Hitomi. Grâce à toi des centaines de vies seront préservées. Mais ne recommence plus jamais ça, d’accord ? Viens, on rentre à Godazim.
(suite)
Hitomi sortit de sa chambre en courant, et se précipita à l’extérieur. Van et Allen étaient déjà là, tous deux près du blessé. Hitomi les rejoignit, et reconnut l’emblème de Fleid.
– Nous étions en route quand nous avons été attaqués…des…démons invisibles…impossible de se défendre…J’ai pu m’échapper…les autre se battent encore…aidez-nous…
– Votre position ! Donnez-nous votre position ! s’écria Van.
Mais l’homme était tombé dans l’inconscience. Van et Allen se regardèrent un instant.
– On ne peut rien faire, fit Allen. Nous ne savons pas où ils sont !
– Mais on ne peut pas les laisser se faire massacrer !
Van bondit vers Escaflowne et monta dessus à toutes vitesses.
– Van ! appela Allen. Ça ne sert à rien ! Tu ne sais même pas où tu vas !
– Ils ne sont peut-être pas loin !
– Emmène-moi avec toi !
A ce cri, Allen et Van se retournèrent et s’aperçurent seulement de la présence d’Hitomi.
– Tu es folle, répliqua Van en secouant négativement la tête. Il est hors de question que tu te mettes en danger.
– Et qu’est-ce que tu es en train de faire, là, Van ? Je suis venue pour vous aider ! Et je peux t’aider, maintenant ! Je t’indiquerai où ils sont.
– J’ai dit que je ne t’utiliserai plus pour me battre !
– Ce n’est pas pour te battre, c’est pour sauver des vies ! Tu n’as pas le choix !
Allen regarda Hitomi d’un air sévère.
– Hitomi, il est hors de question que…
– Monte, fit Van en tendant la main.
Allen se tourna violemment vers lui, sidéré et furieux : « Mais enfin Van ! Tu ne vas quand même pas la laisser… ».
Mais Hitomi avait déjà attrapé la main de Van. A cet instant, l’énergist d’Escaflowne se mit à briller violemment, sans que les deux jeunes gens s’en rendent compte. Van hissa Hitomi derrière lui, et sembla décrocher quelque chose de l’intérieur du guymelef. Lentement, il tendit son pendentif à Hitomi, et pour la première fois depuis son arrivée, la regarda dans les yeux. « Tu risques d’en avoir besoin », dit-il. Hitomi acquiesça sans un mot, le prit et l’accrocha autour de son cou. « Tiens-toi bien ! cria Van. On y va ! ». Hitomi l’attrapa par la taille, et le guymelef prit son envol. « Où est-ce qu’on va ? » demanda Van. Hitomi ferma les yeux, se concentra, puis indiqua le sud. « Par là ! Mais…» « Que se passe-t-il ? Tu as une vision ? » « Non, mais quelque chose est étrange…Je sais que c’est par là mais c’est comme si le pendentif voulait nous emmener ailleurs ! » « On verra là-bas ! Accroche-toi, je passe en vitesse supérieure ! ».
Allen les regarda s’éloigner. Sa colère se calma, et un étrange sourire naquit sur ses lèvres. « Que peut-il leur arriver, de toutes façons ? Ils sont ensemble. »
Il fit demi-tour et donna l’ordre à tous de se remettre à leur poste en attendant le retour du roi. Par une fenêtre du palais, Elianor fronçait les sourcils.
Après quelques minutes de vol, Van finit par se détendre un peu. La présence d’Hitomi derrière lui, ses bras qui s’accrochaient à sa taille lui mettaient les nerfs à vifs. Concentrée, elle ne bougeait pas, ne disait rien. Il avait l’impression d’être revenu trois ans plus tôt. Van se reprocha alors ses regrets. Il n’avait pas à en avoir. Après la guerre, il épouserait Elianor, et donnerait un héritier au royaume, un royaume pour toujours en paix. Tout serait parfait.
Il sentit soudain les mains d’Hitomi se crisper.
– Que se passe-t-il ?
– Je…je ne sais pas…Oh, Van, dépêche-toi, je t’en prie ! Je…je sens…
Elle ne termina pas sa phrase, et poussa un hurlement. « Là ! En bas ! ». Van baissa la tête, et serra les dents.
Sur des dizaines de mètres, dans la lueur crue du soleil, des corps. Des centaines de corps, les uns sur les autres, enchevêtrement de chair et de métal, guymelefs et pilotes, rouge sang. « Un véritable massacre », murmura Van.
Il sentit Hitomi cacher son visage dans son dos, et l’entendit pleurer doucement. « A peine quelques heures qu’elle est là, pensa-t-il, le cœur serré, et elle souffre déjà. Gaia n’est pas un monde pour elle. »
Mais elle se redressa d’un coup. « Van ! cria-t-elle. Ils…Cid…Fleid…Vite ! Ils…ils veulent tuer Cid ! C’était ça que voulait le pendentif, nous emmener directement à Fleid ! Il faut empêcher ça, Van ! »
Van fit faire un demi-tour serré à Escaflowne et fonça droit dans la direction de Fleid. Il y en avait pour plusieurs heures de vol, mais Escaflowne était sûrement plus rapide qu’une armée de guymelefs, et ils y seraient à temps. Le problème, c’était qu’à lui tout seul, même avec Escaflowne, il ne pouvait pas arrêter une armée. Et il ne pouvait pas faire de détour pour aller demander un escadron spécial à Fanélia, qui, de toutes façons, arriverait trop tard. Il se creusait la tête pour trouver une solution, lorsque soudain, une idée jaillit dans son esprit :
– Hitomi ! Est-ce que tu pourrais me dire où se trouve le premier détachement de l’armée d’Astria ? Dépêche-toi !
Hitomi se concentra.
– Plus au nord, près d’une chaîne de montagnes bleues.
– Parfait ! Ce n’est qu’un détour d’une petite heure qu’on rattrapera facilement.
– Tu veux les envoyer à Fleid ?
– Oui.
Hitomi se tût un instant, comme si elle réfléchissait intensément.
– Mais, Van…Tu attendais ces renforts pour une attaque dans quelques jours, non ? S’ils vont à Fleid, tu ne pourras pas exécuter ton plan…
– Ce n’est pas grave. On le remettra à plus tard. Il est hors de question de laisser Cid.
Hitomi n’ajouta rien, et ils restèrent silencieux très longtemps.
– A quoi penses-tu ? finit par demander Van.
– A ces hommes de Fleid. Ils laissent derrière eux des gens qui les aimaient. Pourquoi cette guerre, Van ? Je croyais…Je croyais qu’ils avaient compris…la dernière fois…Est-ce que Dornkirk avait raison ? Est-ce que le seul désir des hommes est de combattre ?
– Non, Hitomi. Ce n’est pas tout à fait ça. Dornkirk a disparu, mais ses héritiers sont restés : quatre Sorciers ont survécu, et ils ont pris le contrôle de Bazhram par le biais d’un contrôleur de Destin. Je ne sais pas exactement ce qu’ils veulent, mais ça a encore un rapport avec les Atlantes. Ils ont déclaré la guerre à Fanélia, Astria et Fleid en même temps. Les autres royaumes ne veulent pas s’en mêler.
– Il faut détruire ces Sorciers ! s’écria Hitomi avec ferveur.
Etonné par la passion soudaine de la jeune fille, Van acquiesça sans un mot et ils atteignirent le premier détachement d’Astria peu après.
Les soldats, surpris, s’inclinèrent devant le jeune roi. Le capitaine du détachement accourut.
– Majesté…
– Une armée est en marche vers Fleid, annonça Van sans préambule. Il faut que vous y alliez sans tarder.
– Mais les ordres…La contre-attaque…
– Le plan est changé pour vous. Nous vous attendons à Fleid. Dépêchez-vous.
A peine quelques secondes plus tard, Escaflowne était de nouveau dans les airs. Hitomi garda le silence quelques temps, mais finit par demander :
– Mais Van…S’ils ne voient pas l’armée de Bazhram…ça ne servira à rien !
– C’est là que j’ai besoin de toi.
– De moi ?
– Oui. Tu sais, les choses ont évolué depuis ton départ. Les Mages de Fleid ont fait des recherches sur la puissance Atlante. Au centre du temple de Fortuna, sous la statue, il y avait une autre salle qui cachait un multiplicateur. Si on décuple la puissance de ton pendentif, on devrait pouvoir les démasquer.
– Tu veux dire que si je les cherche comme je le fais d’habitude, la puissance multipliée les fera complètement apparaître ?
– Quelque chose comme ça, oui. Ça nous évitera beaucoup de morts inutiles.
Hitomi sourit sans répondre. Van était toujours le même. Il y eut un long silence, et la jeune fille finit par réaliser que quelque chose semblait le perturber.
– Qu’est-ce qui ne va pas, Van ?
Il ne répondit pas tout de suite, et Hitomi commença à s’inquiéter.
– Ça pourrait être dangereux, dit-il enfin. Je ne sais pas si tu pourras contenir la puissance que le pendentif dégagera, et ce qu’il t’arrivera dans ce cas-là. Tu n’es pas obligée de le faire. Si tu as le moindre doute…
– Je n’ai pas peur, affirma-t-elle.
Puis après une pause, elle ajouta :
– On a survécu à tellement de choses. Je n’arrive pas à imaginer qu’il pourrait m’arriver quoique ce soit.
– C’est là le danger, Hitomi ! s’écria Van, un peu en colère. Il ne faut pas se relâcher. Un seul instant d’inattention, et l’ennemi peut te tuer. C’est quelque chose que tu ne dois pas oublier.
– Mais Van, répliqua doucement la Terrienne, tu seras là.
Van serra plus fort les rênes en signe de contrariété. Elle ne comprenait pas, ou elle ne voulait pas comprendre ! Ce n’était plus pareil. Il avait tellement de choses à faire, à penser, tellement d’indications à donner, tellement de gens à protéger. Il n’était plus libre.
– Je ne serais pas toujours là pour te protéger, Hitomi, dit-il.
Et sans attendre une éventuelle réplique, il ajouta :
– Tu devrais te reposer, maintenant. Il reste encore quelques heures avant Fleid, et il vaut mieux que tu sois en pleine forme.
Sans rien dire, Hitomi se blottit au fond d’Escaflowne. Van se sentait furieux, sans savoir réellement pourquoi. « Je la mets en danger, et après je lui dis que je ne pourrais pas la protéger ! Bon sang, mais quel idiot ! Mais elle ne comprend pas… ».
C’était difficile pour Van de se comprendre lui-même. Il y avait cet étrange sentiment au fond de lui qui lui ordonnait de la protéger ; il ne se sentait pas responsable d’elle, comme il se sentait responsable de tous les habitants de Fanélia, et même de Fleid et d’Astria ; non, c’était différent : c’était naturel, c’était inscrit en lui, quelque chose d’aussi évident que de respirer. Il devait protéger Hitomi. Et malgré tout ce qu’il avait à faire, il ne pouvait pas se mentir, ni se leurrer : si elle courrait le moindre danger, il laisserait tout tomber pour aller la sauver. Il le savait, et il se sentait furieux de ne pas être plus fort.
De longues heures passèrent, sans qu’ils ne se parlent presque plus, et à part un arrêt pour manger un peu des baies trouvées dans une forêt, Escaflowne vola sans interruption. Vers la fin de l’après-midi, Van commençait vraiment à fatiguer, et Hitomi qui n’avait osé rien dire jusque-là, lui proposa de se reposer.
– Non, dit-il. Ce n’est pas la peine. D’ailleurs on arrive en vue de Godazim.
En effet, quelques minutes plus tard, ils se posaient dans le jardin du palais royal. Van et Hitomi sautèrent au sol, et à peine quelques instant après, le jeune Cid, nouveau Duc de Fleid, même pas âgé d’une dizaine d’années, accourait à leur rencontre. Reconnaissant Hitomi, un sourire ravi illumina le visage du jeune Duc.
– Hitomi ! Vous êtes revenue ? Quelle joie !
– Bonjour, prince…euh…duc. Je suis heureuse de vous revoir.
– Bienvenue également à vous, Van.
Van inclina la tête en signe de remerciement, puis entra dans le vif du sujet :
– Cid, je suis désolé de vous l’apprendre ainsi, mais les renforts que vous avez envoyés ont été décimés par les armées de Bazhram avant d’atteindre Fanélia.
Le visage du garçon pâlit, il baissa la tête.
– Quelle perte ! murmura-t-il. Je regrette qu’ils n’aient pu vous aider.
– Leur mort est malheureuse, mais un danger pèse sur Fleid. Hitomi a eu une vision.
En quelques mots, Van relata la vision de la jeune fille, et le plan qu’il avait mis au point. Cid l’écouta avec attention, et hocha gravement la tête.
– C’est une excellente idée. Mais d’après vos dires, l’armée de Bazhram n’arrivera pas avant demain, et il va bientôt faire nuit. Soyez mes hôtes, et au matin vous pourrez vous rendre au temple de Fortuna.
Van accepta l’invitation, et, tandis qu’il rangeait Escaflowne, Cid et Hitomi rentrait au palais où le jeune roi les rejoindrait.
– Je suis heureux de votre retour, Hitomi, dit Cid. Votre présence va grandement nous aider. J’ai toujours pensé que Van et vous…
– Duc, le coupa doucement la jeune fille, je ne suis là que pour la durée de la guerre. Après je rentrerai chez moi.
– Oh, fit-il, apparemment déçu. J’aurais pensé…Mais laissons cela. Voici votre chambre, installez-vous et venez nous rejoindre dans la salle à manger.
Cid s’éloigna, Hitomi entra dans la chambre qu’on lui avait attribuée. Elle était belle, mais Hitomi ne s’y sentait pas vraiment à l’aise. Son dernier séjour à Fleid restait intacte dans sa mémoire, la prison, et surtout la plongée dans l’esprit du sorcier Morph qui avait failli lui être mortelle. Ce jour-là, Van lui avait sauvé la vie.
Van.
Il semblait si inquiet, si préoccupé. Merle avait raison : il avait beaucoup trop de choses sur les épaules. Tellement de préoccupations. Et elle venait s’ajouter à tout. Il devait se sentir responsable d’elle, et elle ne voulait pas qu’il ait une inquiétude de plus. Il fallait qu’elle apprenne à s’en sortir toute seule.
Un instant, elle regretta d’être revenue. Elle regretta de ne pas être simplement sur Terre, avec Shinji, Yukari et Amano, tranquille, rire avec eux, sans soucis.
Mais ça ne dura qu’un instant. Elle chassa cette idée très vite, sortit de sa chambre et, avec l’aide d’un serviteur qui la guida, alla jusqu’à la salle à manger.
Elle ouvrit doucement la porte.
– Je ne comprend sincèrement pas ce qu’ils cherchent ! Ils attaquent sans stratégie, changent de cible tous les jours… !
Van marchait de long en large en s’agitant. Cid, assis, l’écoutait avec attention. Ils ne semblaient pas avoir remarqué la présence d’Hitomi.
– Croyez-vous qu’ils cherchent encore le moyen de contrôler le destin ? demanda Cid.
– Je ne crois pas. Ces Sorciers se moquent de nous. D’après les espions, ils ont recréé une Pythie, de faible ampleur, afin de contrôler l’esprit des habitants de Bazhram. Mais leur façon de faire la guerre est absurde. En fait, c’est comme si ils avaient un but précis.
Van arrêta de tourner en rond, et fronça les sourcils.
– Oui, c’est comme si ils cherchaient à provoquer quelque chose…A obtenir quelque chose… Je ne suis pas sûr, mais…Si seulement on pouvait savoir ce que c’est !
Il leva les yeux, et aperçut Hitomi. Cid tourna la tête, la vit également et lui proposa de s’asseoir et de manger quelque chose. Van la suivit des yeux, sourcils toujours froncés. Le pendentif luisait doucement autour du cou de la jeune fille. Il la fixa pendant un certain temps, jusqu’à ce que, intriguée, elle lève les yeux et le regarde.
– Qu’est-ce qu’il y a, Van ?
– Et si…commença-t-il, et si…
Mais il se tût, cette idée était absurde, complètement absurde et sans fondement.
– Et si quoi ? demanda Cid.
– Non, rien. En fait, rien.
Il s’assit à son tour, et resta silencieux. D’abord étonnés, Cid et Hitomi finirent par respecter son silence et bavardèrent joyeusement ensemble.
Van fixait son assiette, incapable de manger, obsédé par cette idée stupide dont il n’arrivait pas à se débarrasser. Et si leur but, c’était le retour d’Hitomi ? Si cette guerre, c’était juste pour qu’Hitomi revienne sur Gaia ?
Mais pourquoi auraient-ils voulu ça ? On ne déclare pas une guerre uniquement pour faire revenir quelqu’un…Et puis, de toutes façons, comment auraient-ils su qu’elle serait revenue ? Non, décidément, cette idée était vraiment absurde. Pourtant, il éleva soudain la voix pour s’adresser à la jeune Terrienne :
– Hitomi ! Est-ce que tu peux lire ton avenir ?
Elle leva les yeux vers lui, son regard vacilla comme si la question la troublait, mais elle finit par répondre d’une voix lente :
– Je ne le fais plus.
– Pourquoi ?
Elle eut un sourire étrange, comme un peu triste.
– Tu as oublié ? demanda-t-elle. On ne peut pas contrôler le Destin. Si on essaye, il se révolte et choisit la pire des solutions. On peut juste essayer de choisir par soi-même.
Elle baissa les yeux, fixa la table, et continua :
– Si j’essaye de lire mon futur, il risque de se réaliser. Et s’il est mauvais, pour moi ou pour les gens que j’aime, je veux laisser une chance que ça ne se passe pas comme ça. C’est pour ça que je ne le fais plus.
Il y eut un silence autour de la table.
– Dans mes visions, je ne vois plus le futur, mais le présent, ajouta-t-elle. Je peux voir les pensées des gens, et leurs intentions, si elles sont bonnes ou mauvaises. Mais je ne peux pas dire si ce qu’elles projettent se réaliseront. Dans la pensée unique des soldats de Bazhram, j’ai vu Fleid brûler et Cid mort. Mais c’était seulement leur pensée, et une pensée qui deviendra un futur probable, puis une réalité si nous ne faisons rien.
Elle regarda de nouveau Van.
– Et c’est pour ça que nous sommes là, n’est-ce pas ? Pour empêcher ce qui pourrait arriver. N’est-ce pas, Van ? insista-t-elle.
Il acquiesça sans un mot.
– Alors qu’importe mon avenir, dit-elle.
– Je comprend, répondit-il simplement.
Hitomi se leva alors. « Je vais me coucher », dit-elle. Cid lui souhaita une bonne nuit. Avant de passer la porte, elle se tourna vers Van une dernière fois.
– Van, tu peux retourner à Fanélia. Je me débrouillerai toute seule. Je ne risque rien, et tu as probablement autre chose à faire.
Le jeune roi se leva d’un coup, comme si ce que venait de dire Hitomi l’avait personnellement blessé, et elle recula d’un pas.
– Nous sommes en guerre, Hitomi ! Je vais là où se trouvent les solutions pour protéger mon peuple. Je suis responsable de lui, tu comprends ? Je dois le protéger, et faire tout pour qu’il ne lui arrive rien. Tu as vu toi-même que la cible de Bazhram était Fleid, et c’est à Fleid que se trouve le moyen d’enrayer cette guerre infernale ! Je suis donc ici. Allen est à Fanélia, et j’ai confiance en lui. Ne t’occupe pas de ce que je fais.
– Désolée.
Blessée par la réaction de Van, la jeune Terrienne sortit, mais la voix du roi l’arrêta encore.
– Hitomi ! Attends.
Elle se tourna vers lui, en évitant son regard.
– Je ne suis pas aussi sûr que tu ne risques rien, et je préfère être là. Quoique tu dises, ton avenir importe. Je ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose.
Elle esquissa un sourire, et une lueur s’alluma dans son regard. Lueur que Van éteignit l’instant d’après en ajoutant :
– Tu es probablement encore une fois notre seul espoir d’arrêter cette guerre.
– Oui, bien sûr, fit-elle d’une voix un peu amère.
Elle tourna les talons, marcha d’un pas rapide jusqu’à sa chambre et s’y enferma. Soudain furieuse, elle fixa son reflet dans la glace, et comme s’il s’agissait de Van, lui parla à voix haute : « Je suis votre seul espoir d’arrêter la guerre, n’est-ce pas ? Oh, Van tu n’as pas changé. Ça n’a jamais aucune implication personnelle, avec toi ! Tu agis toujours au nom de quelque chose, à te protéger derrière des prétextes grandioses ou les décisions que prennent les autres. Mais tu ne dis jamais ce que toi tu penses réellement. Nous ne sommes pas obligés de nous regarder comme des étrangers, même si…nous…ne nous…aimons…plus. » La voix d’Hitomi se brisa sur ces derniers mots, des larmes silencieuses et soudaines coulèrent sur ses joues, et quelque chose lui oppressa le cœur. Elle s’allongea sur le lit en fixant la Lune et la Terre à travers ses pleurs. « Nous pouvons être amis, n’est-ce pas, Van ? Rester amis. Tout cela est fini, derrière nous. Nous pouvons rester amis. Ça ne risque rien, n’est-ce pas, Van ? Juste des amis. » Hitomi ferma les yeux et se recroquevilla sur elle-même.
Lorsqu’il n’entendit plus les pas d’Hitomi dans le couloir, Van se tourna vers la fenêtre, perdu dans des pensées incohérentes, désordonnées, furieuses. Une voix d’enfant s’éleva soudain, et il sursauta. Il avait oublié la présence de Cid.
– Vous avez fait exprès de la blesser, n’est-ce pas ? Pourquoi ?
Van ne répondit pas tout de suite, détourna les yeux, semblant réfléchir lui-même à la raison de son comportement ; puis se décida :
– Nous sommes dangereux l’un pour l’autre, dit-il.
Puis il sortit sans ajouter un mot. Cid resta longtemps assis à se demander pourquoi les gens agissaient de manière si étrange, quelle était cette force qui leur faisait blesser ceux qu’ils aiment, cette force qui les séparaient des gens qu’ils aiment ? Cette force absurde qui les faisait mentir ? « La raison », murmura-t-il pour lui-même.
Cid baissa les yeux. La raison, bien sûr.
Cette même raison qui avait fait de lui le fils et l’héritier du Duc de Fleid.
Cid se leva et alla à sa chambre, demandant à tous de le laisser tranquille.
Il enleva sa si lourde couronne, la posa sur une chaise aux dorures brillantes, et grimpa sur son trop grand et trop haut lit. Il s’assit au milieu des draps aux armes de Fleid, et fixa devant lui le reflet dans le miroir, ces courts cheveux blonds, ces yeux bleus à l’expression si grave et ce visage d’enfant sérieux qui avaient été ceux d’un autre avant lui, ceux d’un ex Chevalier Céleste d’Astria qui avait eu la folie d’aimer une princesse promise à un autre.
Un ex Chevalier accusé d’un double meurtre.
Cid cacha son visage dans ses genoux et se mit à pleurer. A cet instant, il n’était plus qu’un petit garçon abandonné, perdu, à la recherche d’une identité.
Hitomi coure à toutes vitesses le long de la route déserte. Là-bas à l’autre bout, la cérémonie pour le mariage de Yukari et d’Amano va bientôt commencer, et elle ne peut pas se permettre d’être en retard. Un bruit de moteur rompt soudain le silence, une moto s’arrête à côté d’elle et Allen retire son casque pour lui proposer de l’emmener. Elle accepte, monte et s’accroche à lui. Moins de quelques secondes plus tard, il la dépose devant une esplanade où des centaines de personnes sont réunies, puis disparaît sur sa moto. Hitomi grimpe les marches en courant, et en haut, Yukari l’accueille en criant :
– Mais où tu étais ?
– Je suis désolée, je ne voulais pas être en retard pour ton mariage.
– Qu’est-ce que tu racontes ? C’est toi qui te maries !
Hitomi se rend compte alors qu’elle est dans une robe de mariée typique d’Astria, et une joie profonde lui étreint le cœur. Bien sûr, elle se marie ! Elle fronce les sourcils, soudain, elle ne sait plus avec qui. Mais au bout de la rangée, Shinji, en costume, l’attend. Un sourire illumine le visage d’Hitomi, elle se marie, et elle se marie avec Shinji ! Elle s’avance vers lui, prend sa main. Le prêtre ressemble étrangement à Dornkirk. Mais qu’importe, dans le public, Yukari, Amano, Mirana et Allen, présent lui aussi avec Cid, lui sourient.
Un cri soudain la fait se retourner, « Maaaaaaaaiiiiiiiiitre Vaaaaaaaaaaan ! ! »Van monte les escaliers, la regarde et tente de l’appeler, mais s’effondre en haut de la dernière marche. Merle surgit alors et le secoue en pleurant pour qu’il se relève. Il est couvert de sang, et Hitomi coure vers lui en ignorant les appels de Shinji. Elle s’agenouille près de Van en l’appelant, il ouvre les yeux, la regarde. « Escaflowne s’est rebellé contre moi, dit-il dans un souffle. Je vais mourir. » Hitomi se met à pleurer. « Non ! crie-t-elle. Tu ne mourras pas ! Tu n’as pas le droit de mourir le jour de notre mariage ! Lève-toi, Van, nous devons nous marier ! » Mais Van secoue la tête. « Je suis désolé, dit-il. Si tu ne m’avais pas abandonné, ça ne serait pas arrivé. Tu aurais dû revenir plus tôt. Maintenant je vais mourir. » « Non ! hurle Hitomi en larmes. Tu ne mourras pas ! Je vais changer ton Destin ! Je vais le modifier ! » Un rire démoniaque résonne derrière elle, le prêtre était bien Dornkirk, l’empereur déchu de Zaïbacher qui s’élève maintenant dans les airs. « Que ton souhait soit exaucé ! » fait-il d’une voix terrifiante.
Hitomi ressent une soudaine brûlure à la poitrine. Elle est maintenant sur Gaia. Et elle se regarde. Elle se voit morte, allongée dans l’herbe, Van la secoue pour la réveiller, le regard du jeune roi est égaré. « Comme c’est étrange de se voir morte, pense-t-elle. Ne t’inquiète pas, Van, je vais bien. » Une main se pose sur son épaule tandis qu’elle regarde avec inquiétude Van se rendre fou à vouloir ressusciter son corps dans l’herbe.
– Tu as échangé ta vie contre la sienne, dit Folken.
– Ah, alors j’ai réussi, fait Hitomi, soulagée. Il ne mourra pas. Est-ce qu’il sera heureux ?
– Il aura des moments de bonheur.
– C’est tout ce que je veux. Qu’il soit heureux.
– C’est ce qu’il désire pour toi aussi.
– Il n’aura plus à s’inquiéter de moi, maintenant.
Et Folken disparaît tandis qu’Hitomi s’approche de Van qui hurle son nom avec désespoir. « Je suis là, Van, dit-elle. Ne t’inquiète pas. Je vais bien. »
Hitomi ignora la main tendue de Van et monta toute seule sur Escaflowne. Il était tôt, mais il fallait agir vite. Cid était là avec sa suite, l’air fatigué, mais un sourire sur les lèvres.
– J’ai confiance en vous, dit-il. Revenez après avant de repartir pour Fanélia.
Van acquiesça d’un signe de tête, Hitomi le remercia, et le dragon s’envola vite en direction de Fortuna. Hitomi ne disait rien, le rêve qu’elle avait fait durant la nuit la perturbait. Elle ne savait pas ce qu’il voulait signifier. Van ne rompit le silence que pour annoncer leur arrivée au temple. Les prêtres les guidèrent jusqu’à la source d’énergie.
– Nous ne la contrôlons pas, prévinrent-ils. S’il arrive quoique ce soit, nous ne pourrons rien faire pour l’en empêcher.
Van jeta un coup d’œil à Hitomi, qui, elle, fixait au sol le cercle représentant Gaia. « Tu es prête ? » demanda-t-il. Elle acquiesça sans un mot, et se plaça au centre du cercle.
Un prêtre entra précipitamment. « Les armées de Bazhram sont là ! Le détachement d’Astria vient d’arriver aussi ! ».
Sans attendre, Hitomi leva le pendentif au-dessus de sa tête et ferma les yeux. Le cercle se mit à briller, et une colonne de lumière rose l’entoura bientôt, une pure énergie. Hitomi sentit cette énergie la pénétrer de toute part, et se concentrer dans le pendentif, au creux de son esprit, et grandir, grandir. Elle vit bientôt les armées de Bazhram, mais les dépassa. Il ne suffisait pas de les découvrir, il fallait détruire la sphère qui les contrôlait. L’énergie se décupla encore, et Hitomi se rendit compte qu’elle commençait à perdre le contrôle du pendentif, et que sa propre force à elle se mêlait au pouvoir atlante. Elle se vidait lentement de son énergie. Un instant, elle eut peur et voulut reculer, mais chassa vite cette idée. Qu’importait sa vie, alors qu’elle pourrait par son Pouvoir détruire la machine infernale qui avait de nouveau provoqué cette guerre, et enfin Gaia serait en paix. Définitivement. Elle se força à poursuivre sa recherche dans cet univers noir et effrayant, guidée par la seule lueur de son pendentif d’énergist.
Van la regardait se battre seule dans le cercle, avec un peu d’appréhension. Un prêtre arriva de l’extérieur pour annoncer que les armées de Bazhram étaient maintenant visibles, qu’Hitomi avait réussi. « Reviens, maintenant ! » murmura Van, inquiet. Mais Hitomi ne semblait pas vouloir revenir dans son corps. Elle continuait à utiliser l’énergie atlante. Et soudain, une souffrance violente, brute mais fugace étreignit le cœur de Van. Et il sut à cet instant même qu’Hitomi ne s’en sortirait pas, qu’elle allait mourir, comme une vérité profonde qui serait née soudain au fond de lui
– Arrêtez ça ! hurla-t-il au prêtre. Vous ne voyez pas qu’elle est en train de s’épuiser ? Ramenez-la immédiatement !
– Nous ne pouvons rien faire, Majesté ! répondit l’un d’eux, paniqué. Je vous avais dit que nous ne la contrôlions pas ! Si la jeune fille ne veut pas revenir d’elle même, nous ne pouvons pas l’obliger à le faire !
Van lâcha un juron, et avant même que les prêtres aient pu l’en empêcher, il se jeta au milieu du cercle et plaça ses mains autour de celles d’Hitomi.
Dans l’univers noir qui l’entourait désormais, il apercevait Hitomi au milieu, illuminée d’une lueur intérieure, suivant la lumière rose du pendentif.
– Hitomi ! appela-t-il.
Elle se retourna, et en le voyant, s’étonna.
– Van ? Qu’est-ce que tu fais là ?
– Reviens, Hitomi ! Tu vas mourir !
– Mais Van, je ne peux pas. Je l’ai trouvée !
– De quoi parles-tu ? Attends-moi !
Il courut vers elle, et elle l’attendait en tendant la main. Mais la distance semblait si longue, entre eux, il avait beau courir, il n’arrivait pas à le rejoindre, et son image s’éloignait de lui.
– Hitomi ! Attends !
– Dépêche-toi, Van ! Je…
L’image d’Hitomi commençait à s’effacer, et il comprit qu’elle était en train de mourir. Affolé, il sortit brutalement ses ailes et piqua droit vers elle. Il l’atteignit enfin, la prit dans ses bras, contre lui.
– Tu es là, Van, je sens ton énergie, dit-elle d’une voix moins faible.
– Je suis venu te chercher.
– Pas encore, Van ! Regarde…je l’ai trouvée !
Il tourna alors la tête et vit la machine créée par les Sorciers qui flottait au milieu de cet univers. « Tu la vois ? » demanda Hitomi. Il acquiesça. « Aide-moi à la détruire, Van. Toute seule je ne pourrais pas. »
Sans un mot, Van serra les mains de la jeune fille dans les siennes. « Allons-y », dit-il. L’un contre l’autre, ils se concentrèrent sur cette unique pensée, détruire la machine, détruire la machine, détruire la machine…, et une fantastique énergie jaillit de leurs mains jointes, de la communion de leur forces se complétant parfaitement, grossit pour créer une énorme boule rose de puissance brute qui se projeta contre la machine, et fit exploser l’univers noir.
A des centaines de kilomètres de Fortuna, un Sorcier regardait avec calme la Pythie éclater. Puis il sortit lentement de la pièce, rejoignit les deux autres. « Tout se passe comme prévu. Le Dragon et la fille de la Lune des Illusions ont uni leur force, et ont utilisé le pouvoir de l’esprit pour détruire la machine. Nous pouvons continuer l’expérience. »
Van ouvrit les yeux. Il était allongé sur Hitomi, tous deux par terre, elle avait encore les yeux fermés. Il se rappela l’explosion, puis…plus rien.
– Majesté ! Vous n’êtes pas mort ! fit l’un des prêtres, soulagé. Vous avez été projeté tous les deux hors du Cercle et…
Van s’écarta d’Hitomi, et sans plus écouter les prêtres, la secoua pour la réveiller. Elle ouvrit les yeux péniblement, et fixa sur lui un regard un peu flou. Van, profondément soulagé en constatant qu’elle n’avait rien, sentit monter en lui une sourde colère issue de la peur terrible qu’il avait ressenti pour elle.
– Mais tu te rends compte de ce que tu as risqué ! explosa-t-il. Tu aurais pu mourir ! On te demandait juste de révéler les armées, pas de détruire la sphère !
– On a réussi, prononça Hitomi sans prêter attention aux paroles de Van. On a réussi…
– Oui, on a réussi, mais qu’est-ce qui ce serait passé si tu avais été toute seule ? Est-ce que tu te rends compte que tu as failli mourir ? !
– Mais, Van, on a réussi…
Furieux, il se leva. « Là n’est pas la question, jeta-t-il. On aurait pu s’occuper de la sphère plus tard, avec plus de préparation ! Tu as risqué ta vie pour rien ! »
Et il sortit d’un pas rageur. Hitomi se releva avec l’aide d’un prêtre, déçue, triste.
– Je ne voulais pas le mettre en colère, dit-elle.
– Il a eu très peur pour vous, dit le prêtre. Il s’est jeté d’un coup dans le Cercle lorsqu’il a compris que vous ne reveniez pas.
Hitomi partit en courant à la recherche de Van. Encore une fois, il était venu la sauver. Il fallait qu’elle lui parle, qu’elle lui explique qu’elle ne voulait pas l’inquiéter…Elle le trouva près d’Escaflowne. Il regardait l’horizon, sa colère semblait être retombée.
– Van…je…
– Regarde.
Elle s’approcha alors, et suivit le regard de Van. Là-bas, sur l’horizon, on distinguait les bannières des trois armées, Fleid, Astria, Bazhram. Et elles étaient immobiles, elles ne se battaient pas. Un calme étrange régnait autour d’elles.
– Que…Qu’est-ce qu’il se passe ? Il n’y a pas de bataille !
– La sphère a été détruite, et donc les Sorciers n’ont plus d’emprise sur l’esprit des soldats de Bazhram, dit Van d’une voix neutre. Ils n’ont plus de raison de se battre. La guerre est finie.
Pendant qu’elle réalisait ce qu’il disait, il se tourna vers elle.
– Bravo, Hitomi. Grâce à toi des centaines de vies seront préservées. Mais ne recommence plus jamais ça, d’accord ? Viens, on rentre à Godazim.
(suite)