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Gundam Wing : la chambre blanche partie 03 (fin)
La Chambre Blanche
Genre : torture de Heero
Rating : PG-13
Date : février-mars 2002
Disclaimer : Gundam Wing n'aura décidément jamais été à moi...
[Duo]
C’est comme si on m’avait attaché.
Je suis incapable de bouger, juste de le regarder, au centre de cette chambre, le visage de Heero dans la marre de sang, ses yeux fermés, ses poignets ouverts.
Ce n’est qu’un rêve.
Je ne sens plus ma propre présence, les voix derrière arrivent de si loin, elles n’existent pas, cette chambre n’existe pas, et je suis vide, vide, comme elle.
Ce n’est qu’un rêve.
Je voudrais crier, l’appeler, mais je n’y arrive pas. Comment je dois l’appeler ? Qui dort au centre de cette chambre, Kenji, Zéro Un, ou Heero ?
Ce n’est qu’un rêve… Ce n’est pas Heero qui meurt et ce n’est pas moi qui pleure. Quelqu’un a pris nos places, et joue très mal nos rôles.
Heero est immortel et moi je ne sais pas pleurer.
J’avance d’un pas.
C’est un bruit, léger d’abord, puis qui s’amplifie, remplit toute la chambre, devient assourdissant.
Les clochettes.
Accrochées aux quatre coins de la salle, de petites clochettes de porcelaine blanche qui sonnent, sonnent, sonnent…
– AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! ! ! ! ! ! !
– QUATRE ! ! !
Le hurlement me réveille, et je vois Quatre arriver comme une furie vers moi, les mains sur les oreilles. Il me regarde avec des yeux de fou, et m’arrache le pistolet.
– FAIS TAIRE LES CLOCHETTES ! ! ! ! hurle-t-il.
Un coup de feu pour chaque montage de clochettes, qui tombent du plafond blanc et se brisent au sol en mille morceaux.
Trowa et Wu Fei sont derrière nous, Quatre respire comme s’il avait manqué de se noyer, et il ne nous regarde pas. Il lâche le pistolet et court vers Heero.
– Heero ! Réveille-toi, ça y est, c’est fini ! La porte est ouverte, les clochettes sont mortes ! Heero ! Reviens !
Mais c’est moi qui devrait être là, près deHeero.
– Heero !
Je me mets à genoux près de lui, dans le sang. Ses poignets…
– Coupure horizontale, fait Trowa. Il n’avait pas l’intention d’en mourir.
– Autopunition, murmure Wu Fei.
– Il a perdu beaucoup de sang !
Je ne peux pas m’empêcher de crier… Heero… réveille-toi…
– Il faut faire une transfusion d’urgence, acquiesce Quatre, soudain calme. Il devrait y avoir tout ce qu’il faut ici. Duo, bande-lui les poignets pour l’empêcher de perdre plus de sang. Wu Fei, va chercher de quoi faire une transfusion dans le laboratoire. Trowa, essaye de trouver des bandages et du désinfectant. Je vais voir le docteur Arsy. Que tout le monde se dépêche !
Quatre a repris son sang-froid, et son calme m’apaise. J’ai enfin quelque chose à faire, m’occuper… Je déchire un bout de mon tee-shirt pour lui bander les poignets. Heureusement les coupures sont toute fine, et le sang commence déjà à coaguler. Je sors Heero de son propre sang et commence à nettoyer doucement son visage.
Heero, tu vas t’en sortir, n’est-ce pas ? Je te connais, tu es fort… Tu ne vas pas mourir…
Mais la personne qui a la tête posée sur mes genoux n’est pas vraiment Heero… C’est quelqu’un que je ne connais pas, que je n’avais jamais imaginé. Kenji.
Et moi je ne veux pas de cet inconnu. Je veux qu’on me rende Heero.
Trowa revient avec les bandages et le désinfectant, et quelques secondes plus tard, Quatre, Wu Fei, Milliardo et Arsy suivent.
Le regard du scientifique se charge d’une inquiétude et d’une tendresse étranges en regardant Heero, et je n’ai qu’une envie c’est de prendre mon amour dans mes bras et de fuir loin de cet homme. Je n’aime pas la façon dont il regarde Heero. Ce n’est pas méchant, au contraire, mais cette tendresse et cette douceur sont terrifiantes, et je ne sais pas pourquoi.
– Kenji, fait-il.
Et Heero ouvre les paupières. Ses beaux yeux marine sont recouverts d’une brume étrange. « Heero ! Heero, est-ce que ça va ? »
Mais il ne me regarde pas, je ne suis même pas sûr qu’il m’ait entendu, ses yeux passent sur les autres sans qu’il paraisse les reconnaître, puis s’arrêtent sur Arsy.
– Kenji, je t’ai déjà dit de ne pas te punir physiquement, dit-il d’une voix douce. Tu ne dois pas te faire de mal, tu entends ? Ce J, vraiment, comment s’est-il occupé de toi ? Bon. Ne bouge pas, nous allons te faire une transfusion. Ne t’inquiète pas, ça ne fera pas mal.
– Arrêtez de lui parler comme ça, fait Milliardo d’un ton sec. Ce n’est pas un enfant.
L’autre le regarde d’un air méprisant avant de se tourner vers Quatre.
– Vous avez un donneur ?
– Moi, dit Trowa. Je suis O comme lui et je lui ai déjà fait une transfusion.
– Quand ça ? je demande.
C’est peut-être pas le moment de faire une crise de jalousie, mais je peux pas m’en empêcher. Et en quelque sorte, c’est comme une promesse de retour à la normalité.
–Au début de la guerre, lorsqu’il s’est autodétruit avec Wing, répond Trowa.
C’est vrai. J’avais oublié qu’ils avaient passé beaucoup de temps ensemble à ce moment là.
– Un seul donneur suffira ? demande Wu Fei.
– Oui, répond Arsy. Kenji est assez résistant.
J’ai envie de lui hurler d’arrêter de l’appeler comme ça.
– Il s’appelle Heero, rétorque Wu Fei sèchement.
Apparemment je suis pas le seul. Et Milliardo a l’air de bouillonner. Mais Arsy nous ignore royalement, comme si nous n’avions aucune importance. Il est complètement perdu dans son petit monde. Heero nous regarde les uns après les autres, et cette fois ses yeux s’arrêtent sur moi. Je lui souris, et quelque chose dans son regard de drogué s’allume, et les coins de sa bouche se soulèvent comme pour me rendre mon sourire.
– Kenji, appelle le scientifique avec un peu d’irritation.
Heero revient à lui, mais je m’en fiche. Il m’a reconnu, il m’a souri de lui-même ; si loin qu’il soit dans son trouble, il m’est revenu.
La transfusion se fait en silence, je caresse les cheveux de Heero, poisseux de sang, mais ce n’est pas important. Je veux qu’il sache que je suis là, je veux qu’il sache que je ne le laisserai pas, que je le protégerai d’Arsy.
Le scientifique m’envoie des regards mauvais que je lui rends avec passion. J’aurais voulu le trouver avant les autres pour pouvoir lui taper dessus autant que j’en ai envie. Maintenant qu’il est sous la juridiction des Preventers, je peux plus… Mais il est hors de question qu’il m’échappe comme ça. J’y penserai plus tard. D’abord s’occuper de Heero.
– Voilà, déclare Arsy en retirant l’aiguille du bras de Heero et Trowa qui n’a pas l’air plus dérangé que ça d’avoir perdu quelques litres de sang. Ecoute-moi bien, Kenji.
Heero semble reporter toute son attention sur le scientifique. Celui-ci a pris une petite clef blanche qui traînait par terre. Heero ne regarde pas Arsy. Il regarde la clef.
– Ecoute-moi bien, Kenji, répète l’autre. Je confie la clef au jeune homme ici, d’accord ?
Arsy prend la main de Quatre et y met la clef presque de force. Mais Quatre, comme si elle l’avait brûlé, me la donne avec précipitation.
Cette fois c’est moi que Heero regarde, et je n’aime pas du tout son regard. Alors je me lève, m’assurant qu’il ne me quitte pas des yeux, je pose la clef assez loin de tout le monde, et tire dessus avec le pistolet. Le bruit est assourdissant, et des éclats de métal volent un peu partout. Mais la clef n’existe plus.
Heero me regarde et ferme les yeux.
– Perdu connaissance, annonce Wu Fei.
***
La tête qui tourne.
Fin de la brume.
Ouvrir les yeux ?
Non… pas encore…
Légère douleur quelque part… Où… Son corps… Ses bras… les mains..
Les poignets.
Pourquoi ?
Le couteau.
Environnement… Quelque chose… dessous… dessus… doux… frais..
Un lit.
Brume… vague souvenir… une voix… connue… //Réveille-toi, ça y est, c’est fini ! La porte est ouverte, les clochettes sont mortes !//
Un piège ?
//IL// garde les yeux fermés, indécis. Il y a des voix derrière le brouillard. Des voix qu’//IL// connaît. //IL// doit essayer. Et si c’était vrai ?
//IL// essaye de reprendre possession de tout son corps, lentement. Remue les doigts. Entend les battements de son cœur. Sent la douleur sur ses poignets.
Frémissement des cils, encore indécis.
//IL// ouvre les yeux.
– AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! ! ! !
Le blanc, le blanc partout, //L’//agresse, //L’//entoure, //LE // tient piégé, et même sur //LUI//, vêtement blanc, lumière trop violente, un piège, c’était un piège, fermer les yeux et ne plus jamais les ouvrir…
Mais une forme noire bondit vers //LUI// et //IL// se jette contre elle, sécurité, noir, se blottir contre l’obscurité protectrice. //IL// sent des bras qui l’entoure, asile, refuge, sanctuaire, et une voix furieuse qui hurle :
– MAIS VOUS ALLEZ ETEINDRE CETTE PUTAIN DE LUMIERE ? ?
Et soudain, obscurité. Plus de blanc. Plus de lumière.
L’être qui //LE// tient //L//’a sauvé.
– Combien de fois je vous ai dit de laisser cette chambre dans le noir ! Ou est le docteur Po ?
– Je vais la chercher, Monsieur Maxwell, fait une voix un peu effrayée.
Les bras //LE// serrent plus fort, //LE// calment.
– C’est bon, Heero, murmure la voix. T’inquiète, tout va bien. T’es en sécurité, maintenant. C’est fini. T’as plus rien à craindre.
//IL// ferme les yeux.
//IL// est fatigué.
La voix a dit qu’//IL// n’avait plus rien à craindre. La voix //L’// a protégé de la lumière. //IL// s’endort sans inquiétude.
***
[Duo]
Il dort. Pas envie de le lâcher.
Ça fait bizarre qu’il soit si mince, si léger. Sally a dit qu’il avait été nourri quasiment qu’avec des pilules nutritives. Il paraît que ça donne au corps tout ce dont il a besoin, mais que ça laisse avec la faim au ventre.
Dès qu’il se réveille, je le gave comme une oie.
Un bruit de course, et Sally entre précipitamment dans la chambre sombre.
– Duo ?
– Je suis là, Sal’.
– Je te vois pas avec tes vêtements noirs. Comment va Heero ?
– Il a eu un réveil un peu brutal, mais il s’est rendormi.
– Tant mieux. Qu’il dorme autant qu’il veut, ça peut que lui faire du bien.
– Qu’est-ce que la chef a dit ?
Pourvu qu’elle soit d’accord, pourvu qu’elle soit d’accord…
– Lady Une a accepté, mais pas plus de deux semaines. Elle préfère que vous ne soyez pas trop loin. Et moi non plus. Et puis je veux un rapport tous les soirs.
– Eh, c’est pas si loin, l’Italie… Quand est-ce qu’on peut partir ? Je voudrais qu’on y soit avant que Heero se réveille. Pour lui faire une surprise.
– Je peux vous y emmener, fait une voix derrière.
Et je reconnais la voix tout de suite, et la silhouette aussi.
Son altesse royale est parmi nous.
Youpi.
– Mademoiselle Relena ? sursaute Sally.
– Bonjour, murmure la reine de Sank.
Ça faisait longtemps qu’on l’avait pas vue dans le coin, celle-là. Je trouvais ça louche, aussi. Pur réflexe, je serre Heero un peu plus contre moi, et dans son sommeil, je le sens s’accrocher à ma chemise.
J’aurais voulu que la Miss voit ça. Relena et Sally se font des politesses, puis notre médecin préférée retourne à ses occupations, me laissant avec son altesse royale.
– Duo ? appelle-t-elle d’une voix bizarrement hésitante.
– Ouais ?
Elle s’approche, je la vois dans la lumière de la porte. Là où elle est, elle peut pas louper Heero dans mes bras. Qu’est-ce qu’elle va dire ?
– Comment va-t-il ?
Ben voyons.
– Il a été mieux.
Marrant, avec elle j’arrive pas à développer mes réponses. On dirait Trowa ou Heero dans leurs jours de grande éloquence.
– J’ai… j’ai entendu que vous deviez partir en Italie… Est… est-ce que tu veux que je vous y fasse emmener ?
Est-ce ki mi z’oureilles fonctionnent bien ?
– Où est-ce que vous deviez aller ?
Voyage de noces à Florence, pourquoi ? Non, Maxwell, c’est pas le moment de répondre ça.
– A Florence, pour les vacances.
– Florence ?
Etonnée, apparemment.
– Comment ça, nous emmener ? je demande quand même.
– J’arrive de Sank à l’instant. L’avion est prêt. Vous seriez à Florence dans la nuit.
Et Heero se réveillerait là-bas. Ce serait génial, mais…
– Pourquoi tu fais ça ?
C’est vrai, ça m’intéresse de savoir. Relena n’a jamais fait en sorte de nous laisser tous les deux tout seuls. Et je vous raconte pas sa tête quand on a emménagé ensemble.
Elle hausse les épaules et regarde Heero qui dort contre moi.
– L’avion décolle à 19h, dit-elle. A toi de voir si tu viens ou pas.
Elle sort et d’un coup je me sens triste. Je me mets à sa place. Je sais pas comment je réagirais si je voyais Heero blotti contre quelqu’un d’autre. J’avais encore jamais pensé comme ça et je comprend mieux.
Elle fait d'énormes efforts. Je suppose que tout le monde grandit un jour…
Et ce soir, à 19h, on est à l’aéroport. Heero dort comme un bébé, il a pas émergé de la journée et Sally lui a donné des calmants pour qu’il continue à dormir. Relena est pas dans l’avion, c’est con, j’aurais bien aimé la remercier.
Je me ramollis, moi.
On arrive à Florence vers minuit, et à deux heures, on est tous les deux couchés dans le lit de l'hôtel dont Quatre s’est assuré de la réservation.
Oui, LE lit. C’était sensé être un voyage en amoureux, au départ, pas une convalescence.
Mais je m’en fiche.
Tout à l’heure, quand Heero se réveillera, on sera à Florence, comme il avait demandé. Et puis les billets d’avion sont toujours à Londres, sur son bureau.
Rien ne nous empêchera de repartir.
***
Lorsque Heero émergea, il avait tous les sens en alerte. Tout lui criait qu’il n’était pas dans un endroit connu. Le lit, légèrement plus mou que le sien, l’air, trop chaud, le bruit des oiseaux. Et la présence, à côté de lui.
Mais il avait tout de suite reconnu Duo, c’était moins inquiétant.
Quoique.
Le principal était de savoir où il était et comment Duo avait bien pu réussir à se glisser dans son lit sans qu’il s’en rende compte.
Heero avait mal à la tête, comme après une… cuite.
Est-ce que Duo aurait réussi cette fois à mettre sa fichue tequila dans son verre ? Où étaient-ils hier soir ?
Plus important, était-il encore habillé ?
Non, mais il lui restait son caleçon, c’était plus ou moins rassurant.
Heero entrouvrit les yeux et fut accueilli par la lumière du soleil qui inondait la chambre à travers la baie vitrée en face. Après s’être habitué à la luminosité, il regarda par la fenêtre pour découvrir le paysage d’une ville définitivement italienne.
« Florence », pensa-t-il immédiatement.
Comment étaient-ils arrivés là ?
Heero se sentit soudain envahi par un étrange sentiment de panique. Quelque chose en lui était bloqué, qu’il n’arrivait pas à savoir.
Se calmer. Quel était son dernier souvenir ?
Il parlait avec Duo… à propos de quoi ?
Une soirée à organiser pour l’anniversaire de Wu Fei le mois suivant. Ils avaient été interrompus par son ordinateur, un nouveau mail qui était arrivé.
Les yeux de Heero se dilatèrent brusquement, et le souvenir des deux dernières semaines le submergea comme un raz-de-marée, mais pas vraiment des souvenirs, des bribes floues, comme un rêve dont on essaye désespérément de se rappeler et qui disparaît ou devient encore plus trouble au fur et à mesure.
Finalement, il n’avait que des visages et des voix dans le désordre, et son dernier souvenir net fut celui de la petite clef blanche qui brillait dans la main du docteur Arsy.
Traversé d’un frisson glacé et d’une terreur sans fond, il se redressa et voulut bondir hors du lit, mais deux bras lui entourèrent soudain les épaules et le recouchèrent.
– Tu ne vas nulle part, murmura Duo en le regardant.
Mais Heero ne pouvait pas croiser son regard. Pas après ça. Pas après avoir été si faible, s’être de nouveau laissé contrôler.
Qu’est-ce que Duo allait penser de lui ? Il savait, maintenant, il savait tout, il savait combien Heero était faible !
– Tu ne vas nulle part, répéta Duo en baillant. Je viens d’appeler la réception pour qu’on nous envoie le petit déj et je veux que le serveur voit qu’on est au lit ensemble histoire de rigoler un peu. J’ai une de ces dalles ! Waaaaaah un vrai petit déjeuner avec des œufs, des tartines, du bacon, du café, du beurre, de la confiture de groseilles et j’ai demandé aussi de l’abricot pour toi. T’as vu le temps qu’il fait ? Ça nous change de London ! Tu crois que je vais bronzer ? termina-t-il en regardant sa peau blanche d’un air désespéré. Toi tu t’en fous t’es bronzé toute l’année ! J’ai qu’une envie c’est de frimer devant Quatre et Hilde.
Puis il sourit paresseusement et planta un baiser sur le nez de Heero avant de s’effondrer sur le lit en baillant.
Heero garda le silence, complètement stupéfié, et il allait ouvrir la bouche quand on sonna à la porte. « Entrez », lança Duo d’une voix joyeuse.
Le serveur entra avec la table roulante qui portait les petits déjeuners, et après un coup d’œil au lit leur souhaita poliment bon appétit en italien.
– Grazie, répondit Duo, tout sourire.
Puis il bondit hors du lit pour rapprocher la table, et, tout en parlant joyeusement de tout ce qu’ils devaient faire ici, entreprit de tartiner de beurre une tranche de pain et de la recouvrir de confiture d’abricot. Puis il s’interrompit et la tendit à Heero.
– Mange.
– Duo…
– Mange.
Le ton n’admettait pas de réplique, et Heero découvrit qu’il avait vraiment faim. Il avait à peine fini que Duo lui en tendait une autre sans un mot. Ce manège dura un certain temps, Duo n’avait pas encore touché à quoique ce soit, se contentant de préparer les tartines pour Heero, surveillant qu’il finisse.
Puis apparemment satisfait, il versa du café dans un bol et le posa devant son ami, à côté de cinq autres tartines, et commença à préparer son propre petit déjeuner.
Il mangea sa première tranche de pain, puis regarda Heero qui ne levait pas les yeux de son café.
–Le docteur Owen Arsy a été arrêté et mit sous secret, dit-il d’une voix égale en beurrant une tartine avec soin. Toutes les personnes capturées au Laboratoire 12, dont lui, seront gardées après interrogation sous la juridiction des Preventers afin que rien ne soit divulgué. L’affaire a été classée top secret. Les seules personnes qui connaissent le fond de l’histoire sont Lady Une, Sally Po, Milliardo Peacecraft, Lucrezia Noin, Chang Wu Fei, Quatre Raberba Winner, Trowa Barton et Duo Maxwell. Il leur a été demandé de certifier sur l’honneur qu’ils ne feraient jamais allusion à qui que ce soit de cette affaire.
Heero ne dit rien, mais ses mains autour du bol tremblaient légèrement.
– Tu devrais finir de manger, dit le jeune homme natté doucement.
Heero posa le bol assez brusquement sur la table et alla s’asseoir sur le bord opposé du lit, tournant le dos à son ami, les épaules tendues, les poings serrés.
Duo posa sa tartine, fit le tour du lit et s’agenouilla devant lui. Il prit l’un de ses poings fermés d’une main et le défit pour enlacer ses doigts avec ceux de Heero, et de l’autre main, lui releva doucement la tête. Heero avait les lèvres serrées, la mâchoire contractée, et ses yeux brillaient peut-être un peu trop.
– C’est fini, Heero, murmura Duo en posant une main sur sa joue.
Mais le Japonais recula presque violemment et s’éloigna de lui, le regard dur.
– Non, répondit-il. Ce ne sera jamais fini. Je suis trop faible. N’importe qui peut…
– Tu n’as pas le droit de dire ça ! coupa Duo d’une voix forte et furieuse. Si toi tu es faible, alors la survie de la race humaine est plutôt compromise ! Je connais personne qui aurait résisté à ta place, Heero. Personne ! N’importe qui serait devenu complètement fou, mais toi tu es là. Tu es là, comme tu es, et tu as vécu comme n’importe qui malgré ce que tu as subi.
Il prit une inspiration.
– Je vais pas te dire que t’es à jamais libre de ça parce que ce serait un mensonge. Ce sera toujours en toi, ça fait parti de toi, et c’est l’une des choses qui fait que tu es toi. Il faut juste que tu apprennes à vivre avec et que tu le dépasses, que ça ne t’empêche pas d’avancer. C’est ça la vraie force. On l'a tous fait, on a tous su s’accrocher à quelque chose pour surmonter nos points faibles. Quatre a repris les idéaux de son père avec l’aide de Trowa, Trowa a retrouvé une famille avec nous et avec Catherine, même Wu Fei a fini par sortir de son deuil grâce à Sally…
– Tu savais ça ? murmura Heero.
– Je suis pas aveugle. Je sais que dans certains pays le blanc est la couleur du deuil. Ça va faire un peu moins d’un an que Wu Fei ne s’habille plus en blanc alors qu’avant c’était même pas la peine de lui faire porter autre chose. Je sais pas quelle mort il pleurait, mais il a pu s’en sortir, avec Sally. Ce que je veux dire, c’est que tu peux pas te battre tout seul, Heero. Rappelle-toi qu’on est là, qu’on tient à toi et qu’on fera tout pour t’aider. Si tu veux bien nous laisser.
Heero avait de nouveau baissé la tête, ses cheveux dissimulant le haut de son visage. Mais la larme qui glissa sur sa joue et tomba sur le drap, formant une tache sombre sur le tissus clair, il fut incapable de la dissimuler.
Une larme suivie d’une autre, et d’une autre, et bientôt de dizaines d’autres, et Duo les regardait tomber avec presque de la stupéfaction.
Puis il prit brusquement Heero dans ses bras, refusant de le lâcher lorsqu’il chercha à se délivrer et à s’éloigner de lui. Duo le serra jusqu’à ce qu’il arrête de résister et se laisse glisser contre l’Américain, les épaules secouées de sanglots silencieux qu’il n’arrivait plus à réprimer ni à cacher. Duo ne dit rien, il se contenta de le serrer dans ses bras, et il sentait chacune des larmes muettes qui glissait sur son épaule nue.
Heero n’avait jamais été un enfant qui pleure. Odin n’aimait pas ça. Le docteur Arsy n’aimait pas ça. Le docteur J n’aurait pu même jamais imaginer que son soldat puisse pleurer.
Il n’avait pas pleuré à la mort d’Odin. Il n’avait pas pleuré lorsque J avait commencé son entraînement. Il n’avait pas pleuré quand il avait découvert le corps du chiot dans les décombres. Il n’avait pas pleuré lorsqu’ils lui avaient annoncé qu’il devait reprendre son entraînement depuis le début.
Heero ne se rappelait d’avoir pleuré qu’à un seul moment.
La deuxième fois qu’Arsy l’avait enfermé dans la Chambre Blanche. Des larmes douloureuses et terrifiées.
Mais cette fois, le liquide salé glissait sur ses joues sans forcer, sans lui battre les tempes ou lui serrer la gorge, comme une rivière naturelle.
Et il pleura pour toutes les fois où il ne l’avait pas fait.
***
La journée se déroula paisiblement. Ni l’un ni l’autre n’avait envie de sortir. Ils visiteraient plus tard. Pour l’instant, ils avaient juste envie de rester au calme, chose relativement difficile à définir quand ça concerne Duo.
Le jeune homme natté descendit faire un tour à l’office du tourisme en fin d’après-midi et lorsqu’il remonta, Heero était sur le balcon en train de mettre sur un dessin des toits de la ville les couleurs du coucher de soleil.
Duo s’assit à côté de lui.
– C’est dingue ce qu’il faut voir dans cette ville, annonça-t-il. On aura jamais assez de deux semaines pour tout faire !
– On reviendra, répondit Heero sans quitter son dessin à la pastel des yeux. Il reste les billets d’avion.
– T’as raison.
Duo se tût pour regarder Heero poser les dernières couleurs puis s’apprêter à ranger ses pastels.
– Tu ne signes pas ? demanda le garçon natté.
– Signer ?
– Ben oui ! C’est toi l’auteur. Quand tes gribouillis vaudront des millions, je voudrais pouvoir prouver qu’ils sont de toi, moi…
Heero haussa les épaules, mais prit une pastel noire et en posa la pointe dans un coin. Là, il eut une hésitation qui n’échappa pas à Duo, et l’Américain se tendit, attendant la suite.
Puis Heero fit quelques traits, et dans le coin de la feuille, il n’y avait que deux lettres.
H. Y.
Duo sourit, quelque part soulagé. Ils restèrent tous les deux assis sur les fauteuils jusqu’à ce que la nuit tombe, puis Heero éleva la voix, doucement.
– Et toi ?
– Moi ? répéta Duo, interloqué.
– Tu m’as parlé de Trowa, de Quatre, de Wu Fei. Pas de toi.
Duo garda le silence quelques minutes, attendant presque que Heero repose sa question, mais l’autre ne dit rien. Il ne le regardait même pas.
Duo sourit d’un air lointain.
– Au début je m’accrochais à rien, dit-il enfin. Quand j’étais gosse, j’ai perdu pas mal de gens à qui je tenais. Tellement de gens qu’à la fin je n’avais plus personne pour qui vivre. Mais l’une de ces personnes m’avait appris qu’il ne fallait pas se suicider. Il disait, crever ça sert à rien sauf à prouver qu’on n’est pas le plus fort. Il m’a dit aussi qu’on connaissait jamais la fin de l’histoire, que ça pouvait toujours changer. Alors j’ai pas cherché à mourir, mais j’ai pas cherché à vivre non plus. J’attendais que les choses arrivent et je me laissais ballotter par la vie. C’est comme ça que je me suis retrouvé pilote de Deathscythe.
Duo garda le silence un instant avant de reprendre.
– Et je suis tombé sur vous tous. Quatre, si gentil, qui risquait sa peau dans la guerre sans d'autre raison que ses convictions, Trowa, si calme et si sage et qui pourtant sentait la vie à plein nez, Wu Fei avec son deuil et sa façon de se battre, à la fois solitaire et pourtant à la recherche de compagnie. Et puis toi et ta manie de sauter sur toutes les occasions de t’autodétruire. Au début je pensais seulement que t’étais suicidaire, et puis en fait non. Tu faisais les choses comme t’avais décidé de les faire, sans vraiment penser aux conséquences. Tu restes en vie, tant mieux, tu crèves tant pis. Et apparemment ça t’a porté chance, t’es revenu de trucs dont personne aurait survécu.
Duo se tût de nouveau, pensif.
– Au début j’étais dans cette guerre par hasard, et puis j’ai fini par y être par volonté. Après avoir vu Sally, Howard, Hilde, Relena et vous quatre vous impliquer, c’était dur de pas le faire. A un moment je me suis rendu compte que vous aviez commencé à compter pour moi ; et au bout d’un certain temps j’ai enfin eu de nouveau quelqu’un pour qui vivre. Quelqu’un qui ne mourait pas. Quelqu’un qui revenait toujours.
Duo sourit et se tourna vers Heero qui n’avait toujours pas bougé.
– C’est à toi que je m’accroche pour m’en sortir, Heero.
Le silence dura quelques minutes. Duo n’attendait pas de réponse à sa déclaration. Ils avaient dit qu’ils iraient à Florence quand Heero serait prêt ; ils avaient dû avancer le voyage. Ça ne voulait pas dire que Heero pouvait déjà forcément recevoir la confession et y répondre. Pourtant, au bout d’un moment, la voix du Japonais s’éleva à son tour.
– Je t’attendais, dit-il.
– Pardon ? demanda Duo, pas très sûr de comprendre.
– Il y a un an et demi, quand tu es venu me chercher sur L1. Ça faisait cinq mois et deux semaines que je t’attendais. Le programme de mise en hibernation ne prend que trois jours à être lancé. J’aurais dû être cryogénisé depuis plus de cinq mois. Mais j’ai attendu que tu viennes me chercher.
Sous le choc de la révélation, Duo resta silencieux quelques secondes avant de dire :
– Et… et si j’étais pas venu ?
– Je ne l’avais pas envisagé, répondit Heero.
Et de nouveau le silence. Puis le visage de Duo s’illumina d’un sourire et il prit la main de Heero, la serra très fort.
Ils restèrent silencieux, chacun se demandant si les choses redeviendraient un jour ce qu’elles étaient avant, et tous les deux en doutaient plus ou moins. Ils étaient ensemble, oui, mais ça ne changerait pas ce qu’il s’était passé ces deux dernières semaines.
Et puis…
– Hee-chan ?
– Heero.
– J’ai la dalle.
– Baka.
Finalement, peut-être que ce ne serait pas si difficile que ça.
***
Epilogue
West London, Pénitencier International, Zone de Haute Sécurité 04, 23h56.
Les couloirs étaient vides, à part deux ombres qui se déplaçaient en silence. La plus grande était recouverte d’un manteau noir à capuche, et tenait dans sa main gauche un long bâton à lame courbe, dont le métal aiguisé captait les quelques reflets de lumière.
Une grande faux que son porteur ne cherchait pas à dissimuler.
La première silhouette s’arrêta devant une porte et se tourna vers l’autre.
– Je te donne une heure, c’est tout ce que j’ai pu négocier.
– Largement suffisant.
– N'oublie pas que tu ne dois pas le tuer.
Un sourire mauvais apparut sur les lèvres du porteur de la faux.
– Compte sur moi, Wu Fei.
Duo entra dans la cellule sombre en silence, et la porte claqua derrière lui.
L’homme était assis sur son lit, le regardant s’approcher sans trembler. Mais Duo s’arrêta à un mètre du docteur Owen Arsy, et d’un ton lent et bas, prononça ces mots : « Que le procès commence… »
***
Wu Fei revint au bout d’une heure exactement.
La « rencontre » entre Duo et Arsy avait été prévue depuis longtemps déjà. C’était peut-être contraire à la loi, mais la loi en question ne punirait jamais ce que le scientifique avait fait à Heero.
Parfois il fallait exécuter sa propre justice.
Lady Une avait fait semblant de ne pas remarquer que ce soir là tous les hommes en faction dans la zone 04 faisaient partie des unités de Wu Fei et Milliardo.
Quatre était sorti du QG des Preventers en rappelant à voix haute à Duo qu’ils passaient la soirée ensemble avec Trowa et Heero.
Lady Une, Lucrezia Noin, Milliardo Peacecraft, Sally Po, Trowa Barton, Quatre Winner et Chang Wu Fei étaient prêts à témoigner sur l’honneur s’il le fallait que Duo Maxwell était avec eux ce soir-là.
Heero n’avait pas été mis au courant de ce qui se préparait, d’un commun accord. C’était mieux. Autant ne pas remuer des souvenirs douloureux et inutiles.
Lorsque Wu Fei atteignit la porte de la cellule, Duo l’attendait tranquillement. La lame de sa faux était nette, propre. Le jeune Chinois risqua un coup d’œil dans la cellule. Il n’y avait qu’une blessure, une faux taillée sur le front qui saignait encore, mais le docteur Arsy était effondré sur son lit, le regard étrangement fixe, prononçant des mots inintelligibles.
Wu Fei referma soigneusement la porte et les deux jeunes hommes traversèrent de nouveau les couloirs avant de monter dans la voiture du jeune Chinois.
– Je ne l’ai presque pas touché, l’informa soudain Duo.
– J’ai vu ça.
Ils roulèrent un moment en silence, puis Duo ajouta doucement :
– Je lui ai simplement fait comprendre qu’il avait perdu… qu’il avait perdu Kenji comme il avait failli me faire perdre Heero… Que cette fois, Kenji ne reviendrait plus jamais vers lui… Je lui ai fait comprendre qu’il avait perdu la seule chose pour laquelle il continuait d’avancer… son seul but… Le juge a décidé de lui retirer la garde de l’enfant, ajouta Duo, et cette fois sa voix avait quelque chose de menaçant, presque méchant.
– Il l’aimait comme son enfant, dit Wu Fei d’un air absent.
– Je refuse de considérer ça comme de l’amour, rétorqua Duo froidement, le regard dur. Et si c’est le seul père que Heero ait connu, je ferais en sorte qu’il l’oublie. Mais si ça ne lui suffit pas pour s’en sortir, je tuerai Arsy, et je ramènerai sa tête à Heero pour lui prouver qu’il n’existe plus.
Wu Fei ne fit pas de commentaires. Les paroles de Duo n’étaient pas lancées au hasard.
– Tu es conscient que « Kenji » fera toujours partie de Heero ? demanda-t-il doucement.
Duo ne répondit pas tout de suite, les yeux tournés vers la fenêtre. Bien sûr qu’il en était conscient. « Kenji » était une partie de Heero qu’il n’atteindrait jamais, qui lui serait à jamais fermée. Heero refusait d’en parler, il se renfermait dès que Duo y faisait allusion, se mettait à dessiner ou à jouer au piano, et souvent restait silencieux pendant des heures.
Duo détestait ça plus que tout. Dans les silences de Heero, il y avait des murs blancs, des clochettes, et un homme qui l’appelait Kenji. Alors Duo parlait, parlait, presque sans s’arrêter pendant des heures, tout sauf ce silence étouffant.
Puis tout redevenait comme avant, Heero faisait comme si rien ne s’était passé, et Duo semblait le seul à être mal à l’aise.
– Je sais, finit-il par dire. C’est à moi de m’assurer qu’il ne remonte plus à la surface.
Le reste du trajet s’effectua en silence, et Wu Fei déposa Duo devant chez lui. Le jeune homme natté monta les escaliers rapidement. Il avait soudain envie d’être avec Heero, de le sentir contre lui, de lui faire l’amour jusqu’au matin et ne plus jamais le quitter, s’assurer qu’ils resteraient ensemble à jamais.
Duo entra dans le salon et se débarrassa de son blouson avant de se précipiter dans leur chambre, comme si Heero pouvait avoir disparu entre-temps.
Mais il était là, torse nu, allongé sur le ventre, dans l’obscurité de la chambre.
Le regard de Duo s’adoucit, même s’il se demandait ce qu’il répondrait lorsque Heero voudrait savoir où il avait été.
Duo s’assit sur le rebord du lit et posa une main sur le dos nu de Heero, caressant doucement la colonne vertébrale. Le Japonais frissonna et tourna la tête vers lui, ouvrant ses paupières avec paresse et lenteur.
– Tu dormais ? demanda l’Américain à voix basse.
Heero hocha négativement la tête et regarda Duo droit dans les yeux, sans un mot. Mal à l’aise, le jeune homme natté se baissa pour l’embrasser, et Heero lui rendit tout de suite son baiser. Il ne lui demanda pas où il était allé. Il ne posa pas de question. Il laissa Duo se rassurer, vérifier que c’était bien lui et qu’il n’avait pas disparu.
Peut-être que Heero avait compris, peut-être pas. Ce n’était pas l’important. L’important, c’était qu’il était là.
***
[Duo]
Je saurais pas exactement dire combien de temps s’est écoulé depuis cette histoire…Peut-être quelques jours, peut-être quelques mois, peut-être des années.
Je dis ça parce que c’est le genre de chose dont on a beau vouloir s’en débarrasser, ça vous colle à la peau comme du goudron.
Arsy s’est suicidé deux jours après ma petite visite. Je serais bien allé danser sur sa tombe, ça lui aurait fait les pieds. En fait j’étais plutôt furieux. Il a choisi la voix facile. Est-ce que Heero s’est suicidé, lui ? Et il a sûrement plus souffert que ce connard !
Heero n’a rien dit à la nouvelle, mais je suis sûr qu’il a dû cogiter dessus pendant des heures. D’une certaine façon, j’ai espéré que ça le délivrerait totalement de son passé, mais je sais que c’est complètement utopique. Ça fait des années que Solo est mort, et pourtant, quelque fois, quand un truc me fait rire, je continue à me dire, « tiens, faudra que je le répète à Solo ».
Eh.
Mais the show must go on. On a repeint les murs de la salle de bain en bleu ciel. Il y a une clef dans les serrures de toutes nos portes, et elles sont toujours grandes ouvertes. On est retourné à Florence, dans le même hôtel, et cette fois c’était quasi une lune de miel officielle.
En ce moment même, il est en train de me menacer de mort en me lançant son adorable regard furieux parce que j’ai encore failli faire exploser la cuisine en essayant de cuire un œuf au plat. Pas ma faute si j’avais oublié que le gaz était allumé…
Et en le regardant m’expliquer pour la énième fois, baka, qu'on vérifie toujours, tu m’écoutes Duo, toujours que le gaz est éteint, et la prochaine fois laisse-moi faire ou omae wo korosu, je me dis qu’un jour, oui, j’en suis sûr, il arrêtera de se réveiller en sursaut au milieu de la nuit avec ce regard de gosse qui a fait un cauchemar, et moi j’arrêterai d’avoir peur qu’il disparaisse dès que je détourne les yeux.
Un jour, sûrement.
Très bientôt.
OWARI.
Genre : torture de Heero
Rating : PG-13
Date : février-mars 2002
Disclaimer : Gundam Wing n'aura décidément jamais été à moi...
[Duo]
C’est comme si on m’avait attaché.
Je suis incapable de bouger, juste de le regarder, au centre de cette chambre, le visage de Heero dans la marre de sang, ses yeux fermés, ses poignets ouverts.
Ce n’est qu’un rêve.
Je ne sens plus ma propre présence, les voix derrière arrivent de si loin, elles n’existent pas, cette chambre n’existe pas, et je suis vide, vide, comme elle.
Ce n’est qu’un rêve.
Je voudrais crier, l’appeler, mais je n’y arrive pas. Comment je dois l’appeler ? Qui dort au centre de cette chambre, Kenji, Zéro Un, ou Heero ?
Ce n’est qu’un rêve… Ce n’est pas Heero qui meurt et ce n’est pas moi qui pleure. Quelqu’un a pris nos places, et joue très mal nos rôles.
Heero est immortel et moi je ne sais pas pleurer.
J’avance d’un pas.
C’est un bruit, léger d’abord, puis qui s’amplifie, remplit toute la chambre, devient assourdissant.
Les clochettes.
Accrochées aux quatre coins de la salle, de petites clochettes de porcelaine blanche qui sonnent, sonnent, sonnent…
– AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! ! ! ! ! ! !
– QUATRE ! ! !
Le hurlement me réveille, et je vois Quatre arriver comme une furie vers moi, les mains sur les oreilles. Il me regarde avec des yeux de fou, et m’arrache le pistolet.
– FAIS TAIRE LES CLOCHETTES ! ! ! ! hurle-t-il.
Un coup de feu pour chaque montage de clochettes, qui tombent du plafond blanc et se brisent au sol en mille morceaux.
Trowa et Wu Fei sont derrière nous, Quatre respire comme s’il avait manqué de se noyer, et il ne nous regarde pas. Il lâche le pistolet et court vers Heero.
– Heero ! Réveille-toi, ça y est, c’est fini ! La porte est ouverte, les clochettes sont mortes ! Heero ! Reviens !
Mais c’est moi qui devrait être là, près deHeero.
– Heero !
Je me mets à genoux près de lui, dans le sang. Ses poignets…
– Coupure horizontale, fait Trowa. Il n’avait pas l’intention d’en mourir.
– Autopunition, murmure Wu Fei.
– Il a perdu beaucoup de sang !
Je ne peux pas m’empêcher de crier… Heero… réveille-toi…
– Il faut faire une transfusion d’urgence, acquiesce Quatre, soudain calme. Il devrait y avoir tout ce qu’il faut ici. Duo, bande-lui les poignets pour l’empêcher de perdre plus de sang. Wu Fei, va chercher de quoi faire une transfusion dans le laboratoire. Trowa, essaye de trouver des bandages et du désinfectant. Je vais voir le docteur Arsy. Que tout le monde se dépêche !
Quatre a repris son sang-froid, et son calme m’apaise. J’ai enfin quelque chose à faire, m’occuper… Je déchire un bout de mon tee-shirt pour lui bander les poignets. Heureusement les coupures sont toute fine, et le sang commence déjà à coaguler. Je sors Heero de son propre sang et commence à nettoyer doucement son visage.
Heero, tu vas t’en sortir, n’est-ce pas ? Je te connais, tu es fort… Tu ne vas pas mourir…
Mais la personne qui a la tête posée sur mes genoux n’est pas vraiment Heero… C’est quelqu’un que je ne connais pas, que je n’avais jamais imaginé. Kenji.
Et moi je ne veux pas de cet inconnu. Je veux qu’on me rende Heero.
Trowa revient avec les bandages et le désinfectant, et quelques secondes plus tard, Quatre, Wu Fei, Milliardo et Arsy suivent.
Le regard du scientifique se charge d’une inquiétude et d’une tendresse étranges en regardant Heero, et je n’ai qu’une envie c’est de prendre mon amour dans mes bras et de fuir loin de cet homme. Je n’aime pas la façon dont il regarde Heero. Ce n’est pas méchant, au contraire, mais cette tendresse et cette douceur sont terrifiantes, et je ne sais pas pourquoi.
– Kenji, fait-il.
Et Heero ouvre les paupières. Ses beaux yeux marine sont recouverts d’une brume étrange. « Heero ! Heero, est-ce que ça va ? »
Mais il ne me regarde pas, je ne suis même pas sûr qu’il m’ait entendu, ses yeux passent sur les autres sans qu’il paraisse les reconnaître, puis s’arrêtent sur Arsy.
– Kenji, je t’ai déjà dit de ne pas te punir physiquement, dit-il d’une voix douce. Tu ne dois pas te faire de mal, tu entends ? Ce J, vraiment, comment s’est-il occupé de toi ? Bon. Ne bouge pas, nous allons te faire une transfusion. Ne t’inquiète pas, ça ne fera pas mal.
– Arrêtez de lui parler comme ça, fait Milliardo d’un ton sec. Ce n’est pas un enfant.
L’autre le regarde d’un air méprisant avant de se tourner vers Quatre.
– Vous avez un donneur ?
– Moi, dit Trowa. Je suis O comme lui et je lui ai déjà fait une transfusion.
– Quand ça ? je demande.
C’est peut-être pas le moment de faire une crise de jalousie, mais je peux pas m’en empêcher. Et en quelque sorte, c’est comme une promesse de retour à la normalité.
–Au début de la guerre, lorsqu’il s’est autodétruit avec Wing, répond Trowa.
C’est vrai. J’avais oublié qu’ils avaient passé beaucoup de temps ensemble à ce moment là.
– Un seul donneur suffira ? demande Wu Fei.
– Oui, répond Arsy. Kenji est assez résistant.
J’ai envie de lui hurler d’arrêter de l’appeler comme ça.
– Il s’appelle Heero, rétorque Wu Fei sèchement.
Apparemment je suis pas le seul. Et Milliardo a l’air de bouillonner. Mais Arsy nous ignore royalement, comme si nous n’avions aucune importance. Il est complètement perdu dans son petit monde. Heero nous regarde les uns après les autres, et cette fois ses yeux s’arrêtent sur moi. Je lui souris, et quelque chose dans son regard de drogué s’allume, et les coins de sa bouche se soulèvent comme pour me rendre mon sourire.
– Kenji, appelle le scientifique avec un peu d’irritation.
Heero revient à lui, mais je m’en fiche. Il m’a reconnu, il m’a souri de lui-même ; si loin qu’il soit dans son trouble, il m’est revenu.
La transfusion se fait en silence, je caresse les cheveux de Heero, poisseux de sang, mais ce n’est pas important. Je veux qu’il sache que je suis là, je veux qu’il sache que je ne le laisserai pas, que je le protégerai d’Arsy.
Le scientifique m’envoie des regards mauvais que je lui rends avec passion. J’aurais voulu le trouver avant les autres pour pouvoir lui taper dessus autant que j’en ai envie. Maintenant qu’il est sous la juridiction des Preventers, je peux plus… Mais il est hors de question qu’il m’échappe comme ça. J’y penserai plus tard. D’abord s’occuper de Heero.
– Voilà, déclare Arsy en retirant l’aiguille du bras de Heero et Trowa qui n’a pas l’air plus dérangé que ça d’avoir perdu quelques litres de sang. Ecoute-moi bien, Kenji.
Heero semble reporter toute son attention sur le scientifique. Celui-ci a pris une petite clef blanche qui traînait par terre. Heero ne regarde pas Arsy. Il regarde la clef.
– Ecoute-moi bien, Kenji, répète l’autre. Je confie la clef au jeune homme ici, d’accord ?
Arsy prend la main de Quatre et y met la clef presque de force. Mais Quatre, comme si elle l’avait brûlé, me la donne avec précipitation.
Cette fois c’est moi que Heero regarde, et je n’aime pas du tout son regard. Alors je me lève, m’assurant qu’il ne me quitte pas des yeux, je pose la clef assez loin de tout le monde, et tire dessus avec le pistolet. Le bruit est assourdissant, et des éclats de métal volent un peu partout. Mais la clef n’existe plus.
Heero me regarde et ferme les yeux.
– Perdu connaissance, annonce Wu Fei.
***
La tête qui tourne.
Fin de la brume.
Ouvrir les yeux ?
Non… pas encore…
Légère douleur quelque part… Où… Son corps… Ses bras… les mains..
Les poignets.
Pourquoi ?
Le couteau.
Environnement… Quelque chose… dessous… dessus… doux… frais..
Un lit.
Brume… vague souvenir… une voix… connue… //Réveille-toi, ça y est, c’est fini ! La porte est ouverte, les clochettes sont mortes !//
Un piège ?
//IL// garde les yeux fermés, indécis. Il y a des voix derrière le brouillard. Des voix qu’//IL// connaît. //IL// doit essayer. Et si c’était vrai ?
//IL// essaye de reprendre possession de tout son corps, lentement. Remue les doigts. Entend les battements de son cœur. Sent la douleur sur ses poignets.
Frémissement des cils, encore indécis.
//IL// ouvre les yeux.
– AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! ! ! !
Le blanc, le blanc partout, //L’//agresse, //L’//entoure, //LE // tient piégé, et même sur //LUI//, vêtement blanc, lumière trop violente, un piège, c’était un piège, fermer les yeux et ne plus jamais les ouvrir…
Mais une forme noire bondit vers //LUI// et //IL// se jette contre elle, sécurité, noir, se blottir contre l’obscurité protectrice. //IL// sent des bras qui l’entoure, asile, refuge, sanctuaire, et une voix furieuse qui hurle :
– MAIS VOUS ALLEZ ETEINDRE CETTE PUTAIN DE LUMIERE ? ?
Et soudain, obscurité. Plus de blanc. Plus de lumière.
L’être qui //LE// tient //L//’a sauvé.
– Combien de fois je vous ai dit de laisser cette chambre dans le noir ! Ou est le docteur Po ?
– Je vais la chercher, Monsieur Maxwell, fait une voix un peu effrayée.
Les bras //LE// serrent plus fort, //LE// calment.
– C’est bon, Heero, murmure la voix. T’inquiète, tout va bien. T’es en sécurité, maintenant. C’est fini. T’as plus rien à craindre.
//IL// ferme les yeux.
//IL// est fatigué.
La voix a dit qu’//IL// n’avait plus rien à craindre. La voix //L’// a protégé de la lumière. //IL// s’endort sans inquiétude.
***
[Duo]
Il dort. Pas envie de le lâcher.
Ça fait bizarre qu’il soit si mince, si léger. Sally a dit qu’il avait été nourri quasiment qu’avec des pilules nutritives. Il paraît que ça donne au corps tout ce dont il a besoin, mais que ça laisse avec la faim au ventre.
Dès qu’il se réveille, je le gave comme une oie.
Un bruit de course, et Sally entre précipitamment dans la chambre sombre.
– Duo ?
– Je suis là, Sal’.
– Je te vois pas avec tes vêtements noirs. Comment va Heero ?
– Il a eu un réveil un peu brutal, mais il s’est rendormi.
– Tant mieux. Qu’il dorme autant qu’il veut, ça peut que lui faire du bien.
– Qu’est-ce que la chef a dit ?
Pourvu qu’elle soit d’accord, pourvu qu’elle soit d’accord…
– Lady Une a accepté, mais pas plus de deux semaines. Elle préfère que vous ne soyez pas trop loin. Et moi non plus. Et puis je veux un rapport tous les soirs.
– Eh, c’est pas si loin, l’Italie… Quand est-ce qu’on peut partir ? Je voudrais qu’on y soit avant que Heero se réveille. Pour lui faire une surprise.
– Je peux vous y emmener, fait une voix derrière.
Et je reconnais la voix tout de suite, et la silhouette aussi.
Son altesse royale est parmi nous.
Youpi.
– Mademoiselle Relena ? sursaute Sally.
– Bonjour, murmure la reine de Sank.
Ça faisait longtemps qu’on l’avait pas vue dans le coin, celle-là. Je trouvais ça louche, aussi. Pur réflexe, je serre Heero un peu plus contre moi, et dans son sommeil, je le sens s’accrocher à ma chemise.
J’aurais voulu que la Miss voit ça. Relena et Sally se font des politesses, puis notre médecin préférée retourne à ses occupations, me laissant avec son altesse royale.
– Duo ? appelle-t-elle d’une voix bizarrement hésitante.
– Ouais ?
Elle s’approche, je la vois dans la lumière de la porte. Là où elle est, elle peut pas louper Heero dans mes bras. Qu’est-ce qu’elle va dire ?
– Comment va-t-il ?
Ben voyons.
– Il a été mieux.
Marrant, avec elle j’arrive pas à développer mes réponses. On dirait Trowa ou Heero dans leurs jours de grande éloquence.
– J’ai… j’ai entendu que vous deviez partir en Italie… Est… est-ce que tu veux que je vous y fasse emmener ?
Est-ce ki mi z’oureilles fonctionnent bien ?
– Où est-ce que vous deviez aller ?
Voyage de noces à Florence, pourquoi ? Non, Maxwell, c’est pas le moment de répondre ça.
– A Florence, pour les vacances.
– Florence ?
Etonnée, apparemment.
– Comment ça, nous emmener ? je demande quand même.
– J’arrive de Sank à l’instant. L’avion est prêt. Vous seriez à Florence dans la nuit.
Et Heero se réveillerait là-bas. Ce serait génial, mais…
– Pourquoi tu fais ça ?
C’est vrai, ça m’intéresse de savoir. Relena n’a jamais fait en sorte de nous laisser tous les deux tout seuls. Et je vous raconte pas sa tête quand on a emménagé ensemble.
Elle hausse les épaules et regarde Heero qui dort contre moi.
– L’avion décolle à 19h, dit-elle. A toi de voir si tu viens ou pas.
Elle sort et d’un coup je me sens triste. Je me mets à sa place. Je sais pas comment je réagirais si je voyais Heero blotti contre quelqu’un d’autre. J’avais encore jamais pensé comme ça et je comprend mieux.
Elle fait d'énormes efforts. Je suppose que tout le monde grandit un jour…
Et ce soir, à 19h, on est à l’aéroport. Heero dort comme un bébé, il a pas émergé de la journée et Sally lui a donné des calmants pour qu’il continue à dormir. Relena est pas dans l’avion, c’est con, j’aurais bien aimé la remercier.
Je me ramollis, moi.
On arrive à Florence vers minuit, et à deux heures, on est tous les deux couchés dans le lit de l'hôtel dont Quatre s’est assuré de la réservation.
Oui, LE lit. C’était sensé être un voyage en amoureux, au départ, pas une convalescence.
Mais je m’en fiche.
Tout à l’heure, quand Heero se réveillera, on sera à Florence, comme il avait demandé. Et puis les billets d’avion sont toujours à Londres, sur son bureau.
Rien ne nous empêchera de repartir.
***
Lorsque Heero émergea, il avait tous les sens en alerte. Tout lui criait qu’il n’était pas dans un endroit connu. Le lit, légèrement plus mou que le sien, l’air, trop chaud, le bruit des oiseaux. Et la présence, à côté de lui.
Mais il avait tout de suite reconnu Duo, c’était moins inquiétant.
Quoique.
Le principal était de savoir où il était et comment Duo avait bien pu réussir à se glisser dans son lit sans qu’il s’en rende compte.
Heero avait mal à la tête, comme après une… cuite.
Est-ce que Duo aurait réussi cette fois à mettre sa fichue tequila dans son verre ? Où étaient-ils hier soir ?
Plus important, était-il encore habillé ?
Non, mais il lui restait son caleçon, c’était plus ou moins rassurant.
Heero entrouvrit les yeux et fut accueilli par la lumière du soleil qui inondait la chambre à travers la baie vitrée en face. Après s’être habitué à la luminosité, il regarda par la fenêtre pour découvrir le paysage d’une ville définitivement italienne.
« Florence », pensa-t-il immédiatement.
Comment étaient-ils arrivés là ?
Heero se sentit soudain envahi par un étrange sentiment de panique. Quelque chose en lui était bloqué, qu’il n’arrivait pas à savoir.
Se calmer. Quel était son dernier souvenir ?
Il parlait avec Duo… à propos de quoi ?
Une soirée à organiser pour l’anniversaire de Wu Fei le mois suivant. Ils avaient été interrompus par son ordinateur, un nouveau mail qui était arrivé.
Les yeux de Heero se dilatèrent brusquement, et le souvenir des deux dernières semaines le submergea comme un raz-de-marée, mais pas vraiment des souvenirs, des bribes floues, comme un rêve dont on essaye désespérément de se rappeler et qui disparaît ou devient encore plus trouble au fur et à mesure.
Finalement, il n’avait que des visages et des voix dans le désordre, et son dernier souvenir net fut celui de la petite clef blanche qui brillait dans la main du docteur Arsy.
Traversé d’un frisson glacé et d’une terreur sans fond, il se redressa et voulut bondir hors du lit, mais deux bras lui entourèrent soudain les épaules et le recouchèrent.
– Tu ne vas nulle part, murmura Duo en le regardant.
Mais Heero ne pouvait pas croiser son regard. Pas après ça. Pas après avoir été si faible, s’être de nouveau laissé contrôler.
Qu’est-ce que Duo allait penser de lui ? Il savait, maintenant, il savait tout, il savait combien Heero était faible !
– Tu ne vas nulle part, répéta Duo en baillant. Je viens d’appeler la réception pour qu’on nous envoie le petit déj et je veux que le serveur voit qu’on est au lit ensemble histoire de rigoler un peu. J’ai une de ces dalles ! Waaaaaah un vrai petit déjeuner avec des œufs, des tartines, du bacon, du café, du beurre, de la confiture de groseilles et j’ai demandé aussi de l’abricot pour toi. T’as vu le temps qu’il fait ? Ça nous change de London ! Tu crois que je vais bronzer ? termina-t-il en regardant sa peau blanche d’un air désespéré. Toi tu t’en fous t’es bronzé toute l’année ! J’ai qu’une envie c’est de frimer devant Quatre et Hilde.
Puis il sourit paresseusement et planta un baiser sur le nez de Heero avant de s’effondrer sur le lit en baillant.
Heero garda le silence, complètement stupéfié, et il allait ouvrir la bouche quand on sonna à la porte. « Entrez », lança Duo d’une voix joyeuse.
Le serveur entra avec la table roulante qui portait les petits déjeuners, et après un coup d’œil au lit leur souhaita poliment bon appétit en italien.
– Grazie, répondit Duo, tout sourire.
Puis il bondit hors du lit pour rapprocher la table, et, tout en parlant joyeusement de tout ce qu’ils devaient faire ici, entreprit de tartiner de beurre une tranche de pain et de la recouvrir de confiture d’abricot. Puis il s’interrompit et la tendit à Heero.
– Mange.
– Duo…
– Mange.
Le ton n’admettait pas de réplique, et Heero découvrit qu’il avait vraiment faim. Il avait à peine fini que Duo lui en tendait une autre sans un mot. Ce manège dura un certain temps, Duo n’avait pas encore touché à quoique ce soit, se contentant de préparer les tartines pour Heero, surveillant qu’il finisse.
Puis apparemment satisfait, il versa du café dans un bol et le posa devant son ami, à côté de cinq autres tartines, et commença à préparer son propre petit déjeuner.
Il mangea sa première tranche de pain, puis regarda Heero qui ne levait pas les yeux de son café.
–Le docteur Owen Arsy a été arrêté et mit sous secret, dit-il d’une voix égale en beurrant une tartine avec soin. Toutes les personnes capturées au Laboratoire 12, dont lui, seront gardées après interrogation sous la juridiction des Preventers afin que rien ne soit divulgué. L’affaire a été classée top secret. Les seules personnes qui connaissent le fond de l’histoire sont Lady Une, Sally Po, Milliardo Peacecraft, Lucrezia Noin, Chang Wu Fei, Quatre Raberba Winner, Trowa Barton et Duo Maxwell. Il leur a été demandé de certifier sur l’honneur qu’ils ne feraient jamais allusion à qui que ce soit de cette affaire.
Heero ne dit rien, mais ses mains autour du bol tremblaient légèrement.
– Tu devrais finir de manger, dit le jeune homme natté doucement.
Heero posa le bol assez brusquement sur la table et alla s’asseoir sur le bord opposé du lit, tournant le dos à son ami, les épaules tendues, les poings serrés.
Duo posa sa tartine, fit le tour du lit et s’agenouilla devant lui. Il prit l’un de ses poings fermés d’une main et le défit pour enlacer ses doigts avec ceux de Heero, et de l’autre main, lui releva doucement la tête. Heero avait les lèvres serrées, la mâchoire contractée, et ses yeux brillaient peut-être un peu trop.
– C’est fini, Heero, murmura Duo en posant une main sur sa joue.
Mais le Japonais recula presque violemment et s’éloigna de lui, le regard dur.
– Non, répondit-il. Ce ne sera jamais fini. Je suis trop faible. N’importe qui peut…
– Tu n’as pas le droit de dire ça ! coupa Duo d’une voix forte et furieuse. Si toi tu es faible, alors la survie de la race humaine est plutôt compromise ! Je connais personne qui aurait résisté à ta place, Heero. Personne ! N’importe qui serait devenu complètement fou, mais toi tu es là. Tu es là, comme tu es, et tu as vécu comme n’importe qui malgré ce que tu as subi.
Il prit une inspiration.
– Je vais pas te dire que t’es à jamais libre de ça parce que ce serait un mensonge. Ce sera toujours en toi, ça fait parti de toi, et c’est l’une des choses qui fait que tu es toi. Il faut juste que tu apprennes à vivre avec et que tu le dépasses, que ça ne t’empêche pas d’avancer. C’est ça la vraie force. On l'a tous fait, on a tous su s’accrocher à quelque chose pour surmonter nos points faibles. Quatre a repris les idéaux de son père avec l’aide de Trowa, Trowa a retrouvé une famille avec nous et avec Catherine, même Wu Fei a fini par sortir de son deuil grâce à Sally…
– Tu savais ça ? murmura Heero.
– Je suis pas aveugle. Je sais que dans certains pays le blanc est la couleur du deuil. Ça va faire un peu moins d’un an que Wu Fei ne s’habille plus en blanc alors qu’avant c’était même pas la peine de lui faire porter autre chose. Je sais pas quelle mort il pleurait, mais il a pu s’en sortir, avec Sally. Ce que je veux dire, c’est que tu peux pas te battre tout seul, Heero. Rappelle-toi qu’on est là, qu’on tient à toi et qu’on fera tout pour t’aider. Si tu veux bien nous laisser.
Heero avait de nouveau baissé la tête, ses cheveux dissimulant le haut de son visage. Mais la larme qui glissa sur sa joue et tomba sur le drap, formant une tache sombre sur le tissus clair, il fut incapable de la dissimuler.
Une larme suivie d’une autre, et d’une autre, et bientôt de dizaines d’autres, et Duo les regardait tomber avec presque de la stupéfaction.
Puis il prit brusquement Heero dans ses bras, refusant de le lâcher lorsqu’il chercha à se délivrer et à s’éloigner de lui. Duo le serra jusqu’à ce qu’il arrête de résister et se laisse glisser contre l’Américain, les épaules secouées de sanglots silencieux qu’il n’arrivait plus à réprimer ni à cacher. Duo ne dit rien, il se contenta de le serrer dans ses bras, et il sentait chacune des larmes muettes qui glissait sur son épaule nue.
Heero n’avait jamais été un enfant qui pleure. Odin n’aimait pas ça. Le docteur Arsy n’aimait pas ça. Le docteur J n’aurait pu même jamais imaginer que son soldat puisse pleurer.
Il n’avait pas pleuré à la mort d’Odin. Il n’avait pas pleuré lorsque J avait commencé son entraînement. Il n’avait pas pleuré quand il avait découvert le corps du chiot dans les décombres. Il n’avait pas pleuré lorsqu’ils lui avaient annoncé qu’il devait reprendre son entraînement depuis le début.
Heero ne se rappelait d’avoir pleuré qu’à un seul moment.
La deuxième fois qu’Arsy l’avait enfermé dans la Chambre Blanche. Des larmes douloureuses et terrifiées.
Mais cette fois, le liquide salé glissait sur ses joues sans forcer, sans lui battre les tempes ou lui serrer la gorge, comme une rivière naturelle.
Et il pleura pour toutes les fois où il ne l’avait pas fait.
***
La journée se déroula paisiblement. Ni l’un ni l’autre n’avait envie de sortir. Ils visiteraient plus tard. Pour l’instant, ils avaient juste envie de rester au calme, chose relativement difficile à définir quand ça concerne Duo.
Le jeune homme natté descendit faire un tour à l’office du tourisme en fin d’après-midi et lorsqu’il remonta, Heero était sur le balcon en train de mettre sur un dessin des toits de la ville les couleurs du coucher de soleil.
Duo s’assit à côté de lui.
– C’est dingue ce qu’il faut voir dans cette ville, annonça-t-il. On aura jamais assez de deux semaines pour tout faire !
– On reviendra, répondit Heero sans quitter son dessin à la pastel des yeux. Il reste les billets d’avion.
– T’as raison.
Duo se tût pour regarder Heero poser les dernières couleurs puis s’apprêter à ranger ses pastels.
– Tu ne signes pas ? demanda le garçon natté.
– Signer ?
– Ben oui ! C’est toi l’auteur. Quand tes gribouillis vaudront des millions, je voudrais pouvoir prouver qu’ils sont de toi, moi…
Heero haussa les épaules, mais prit une pastel noire et en posa la pointe dans un coin. Là, il eut une hésitation qui n’échappa pas à Duo, et l’Américain se tendit, attendant la suite.
Puis Heero fit quelques traits, et dans le coin de la feuille, il n’y avait que deux lettres.
H. Y.
Duo sourit, quelque part soulagé. Ils restèrent tous les deux assis sur les fauteuils jusqu’à ce que la nuit tombe, puis Heero éleva la voix, doucement.
– Et toi ?
– Moi ? répéta Duo, interloqué.
– Tu m’as parlé de Trowa, de Quatre, de Wu Fei. Pas de toi.
Duo garda le silence quelques minutes, attendant presque que Heero repose sa question, mais l’autre ne dit rien. Il ne le regardait même pas.
Duo sourit d’un air lointain.
– Au début je m’accrochais à rien, dit-il enfin. Quand j’étais gosse, j’ai perdu pas mal de gens à qui je tenais. Tellement de gens qu’à la fin je n’avais plus personne pour qui vivre. Mais l’une de ces personnes m’avait appris qu’il ne fallait pas se suicider. Il disait, crever ça sert à rien sauf à prouver qu’on n’est pas le plus fort. Il m’a dit aussi qu’on connaissait jamais la fin de l’histoire, que ça pouvait toujours changer. Alors j’ai pas cherché à mourir, mais j’ai pas cherché à vivre non plus. J’attendais que les choses arrivent et je me laissais ballotter par la vie. C’est comme ça que je me suis retrouvé pilote de Deathscythe.
Duo garda le silence un instant avant de reprendre.
– Et je suis tombé sur vous tous. Quatre, si gentil, qui risquait sa peau dans la guerre sans d'autre raison que ses convictions, Trowa, si calme et si sage et qui pourtant sentait la vie à plein nez, Wu Fei avec son deuil et sa façon de se battre, à la fois solitaire et pourtant à la recherche de compagnie. Et puis toi et ta manie de sauter sur toutes les occasions de t’autodétruire. Au début je pensais seulement que t’étais suicidaire, et puis en fait non. Tu faisais les choses comme t’avais décidé de les faire, sans vraiment penser aux conséquences. Tu restes en vie, tant mieux, tu crèves tant pis. Et apparemment ça t’a porté chance, t’es revenu de trucs dont personne aurait survécu.
Duo se tût de nouveau, pensif.
– Au début j’étais dans cette guerre par hasard, et puis j’ai fini par y être par volonté. Après avoir vu Sally, Howard, Hilde, Relena et vous quatre vous impliquer, c’était dur de pas le faire. A un moment je me suis rendu compte que vous aviez commencé à compter pour moi ; et au bout d’un certain temps j’ai enfin eu de nouveau quelqu’un pour qui vivre. Quelqu’un qui ne mourait pas. Quelqu’un qui revenait toujours.
Duo sourit et se tourna vers Heero qui n’avait toujours pas bougé.
– C’est à toi que je m’accroche pour m’en sortir, Heero.
Le silence dura quelques minutes. Duo n’attendait pas de réponse à sa déclaration. Ils avaient dit qu’ils iraient à Florence quand Heero serait prêt ; ils avaient dû avancer le voyage. Ça ne voulait pas dire que Heero pouvait déjà forcément recevoir la confession et y répondre. Pourtant, au bout d’un moment, la voix du Japonais s’éleva à son tour.
– Je t’attendais, dit-il.
– Pardon ? demanda Duo, pas très sûr de comprendre.
– Il y a un an et demi, quand tu es venu me chercher sur L1. Ça faisait cinq mois et deux semaines que je t’attendais. Le programme de mise en hibernation ne prend que trois jours à être lancé. J’aurais dû être cryogénisé depuis plus de cinq mois. Mais j’ai attendu que tu viennes me chercher.
Sous le choc de la révélation, Duo resta silencieux quelques secondes avant de dire :
– Et… et si j’étais pas venu ?
– Je ne l’avais pas envisagé, répondit Heero.
Et de nouveau le silence. Puis le visage de Duo s’illumina d’un sourire et il prit la main de Heero, la serra très fort.
Ils restèrent silencieux, chacun se demandant si les choses redeviendraient un jour ce qu’elles étaient avant, et tous les deux en doutaient plus ou moins. Ils étaient ensemble, oui, mais ça ne changerait pas ce qu’il s’était passé ces deux dernières semaines.
Et puis…
– Hee-chan ?
– Heero.
– J’ai la dalle.
– Baka.
Finalement, peut-être que ce ne serait pas si difficile que ça.
***
Epilogue
West London, Pénitencier International, Zone de Haute Sécurité 04, 23h56.
Les couloirs étaient vides, à part deux ombres qui se déplaçaient en silence. La plus grande était recouverte d’un manteau noir à capuche, et tenait dans sa main gauche un long bâton à lame courbe, dont le métal aiguisé captait les quelques reflets de lumière.
Une grande faux que son porteur ne cherchait pas à dissimuler.
La première silhouette s’arrêta devant une porte et se tourna vers l’autre.
– Je te donne une heure, c’est tout ce que j’ai pu négocier.
– Largement suffisant.
– N'oublie pas que tu ne dois pas le tuer.
Un sourire mauvais apparut sur les lèvres du porteur de la faux.
– Compte sur moi, Wu Fei.
Duo entra dans la cellule sombre en silence, et la porte claqua derrière lui.
L’homme était assis sur son lit, le regardant s’approcher sans trembler. Mais Duo s’arrêta à un mètre du docteur Owen Arsy, et d’un ton lent et bas, prononça ces mots : « Que le procès commence… »
***
Wu Fei revint au bout d’une heure exactement.
La « rencontre » entre Duo et Arsy avait été prévue depuis longtemps déjà. C’était peut-être contraire à la loi, mais la loi en question ne punirait jamais ce que le scientifique avait fait à Heero.
Parfois il fallait exécuter sa propre justice.
Lady Une avait fait semblant de ne pas remarquer que ce soir là tous les hommes en faction dans la zone 04 faisaient partie des unités de Wu Fei et Milliardo.
Quatre était sorti du QG des Preventers en rappelant à voix haute à Duo qu’ils passaient la soirée ensemble avec Trowa et Heero.
Lady Une, Lucrezia Noin, Milliardo Peacecraft, Sally Po, Trowa Barton, Quatre Winner et Chang Wu Fei étaient prêts à témoigner sur l’honneur s’il le fallait que Duo Maxwell était avec eux ce soir-là.
Heero n’avait pas été mis au courant de ce qui se préparait, d’un commun accord. C’était mieux. Autant ne pas remuer des souvenirs douloureux et inutiles.
Lorsque Wu Fei atteignit la porte de la cellule, Duo l’attendait tranquillement. La lame de sa faux était nette, propre. Le jeune Chinois risqua un coup d’œil dans la cellule. Il n’y avait qu’une blessure, une faux taillée sur le front qui saignait encore, mais le docteur Arsy était effondré sur son lit, le regard étrangement fixe, prononçant des mots inintelligibles.
Wu Fei referma soigneusement la porte et les deux jeunes hommes traversèrent de nouveau les couloirs avant de monter dans la voiture du jeune Chinois.
– Je ne l’ai presque pas touché, l’informa soudain Duo.
– J’ai vu ça.
Ils roulèrent un moment en silence, puis Duo ajouta doucement :
– Je lui ai simplement fait comprendre qu’il avait perdu… qu’il avait perdu Kenji comme il avait failli me faire perdre Heero… Que cette fois, Kenji ne reviendrait plus jamais vers lui… Je lui ai fait comprendre qu’il avait perdu la seule chose pour laquelle il continuait d’avancer… son seul but… Le juge a décidé de lui retirer la garde de l’enfant, ajouta Duo, et cette fois sa voix avait quelque chose de menaçant, presque méchant.
– Il l’aimait comme son enfant, dit Wu Fei d’un air absent.
– Je refuse de considérer ça comme de l’amour, rétorqua Duo froidement, le regard dur. Et si c’est le seul père que Heero ait connu, je ferais en sorte qu’il l’oublie. Mais si ça ne lui suffit pas pour s’en sortir, je tuerai Arsy, et je ramènerai sa tête à Heero pour lui prouver qu’il n’existe plus.
Wu Fei ne fit pas de commentaires. Les paroles de Duo n’étaient pas lancées au hasard.
– Tu es conscient que « Kenji » fera toujours partie de Heero ? demanda-t-il doucement.
Duo ne répondit pas tout de suite, les yeux tournés vers la fenêtre. Bien sûr qu’il en était conscient. « Kenji » était une partie de Heero qu’il n’atteindrait jamais, qui lui serait à jamais fermée. Heero refusait d’en parler, il se renfermait dès que Duo y faisait allusion, se mettait à dessiner ou à jouer au piano, et souvent restait silencieux pendant des heures.
Duo détestait ça plus que tout. Dans les silences de Heero, il y avait des murs blancs, des clochettes, et un homme qui l’appelait Kenji. Alors Duo parlait, parlait, presque sans s’arrêter pendant des heures, tout sauf ce silence étouffant.
Puis tout redevenait comme avant, Heero faisait comme si rien ne s’était passé, et Duo semblait le seul à être mal à l’aise.
– Je sais, finit-il par dire. C’est à moi de m’assurer qu’il ne remonte plus à la surface.
Le reste du trajet s’effectua en silence, et Wu Fei déposa Duo devant chez lui. Le jeune homme natté monta les escaliers rapidement. Il avait soudain envie d’être avec Heero, de le sentir contre lui, de lui faire l’amour jusqu’au matin et ne plus jamais le quitter, s’assurer qu’ils resteraient ensemble à jamais.
Duo entra dans le salon et se débarrassa de son blouson avant de se précipiter dans leur chambre, comme si Heero pouvait avoir disparu entre-temps.
Mais il était là, torse nu, allongé sur le ventre, dans l’obscurité de la chambre.
Le regard de Duo s’adoucit, même s’il se demandait ce qu’il répondrait lorsque Heero voudrait savoir où il avait été.
Duo s’assit sur le rebord du lit et posa une main sur le dos nu de Heero, caressant doucement la colonne vertébrale. Le Japonais frissonna et tourna la tête vers lui, ouvrant ses paupières avec paresse et lenteur.
– Tu dormais ? demanda l’Américain à voix basse.
Heero hocha négativement la tête et regarda Duo droit dans les yeux, sans un mot. Mal à l’aise, le jeune homme natté se baissa pour l’embrasser, et Heero lui rendit tout de suite son baiser. Il ne lui demanda pas où il était allé. Il ne posa pas de question. Il laissa Duo se rassurer, vérifier que c’était bien lui et qu’il n’avait pas disparu.
Peut-être que Heero avait compris, peut-être pas. Ce n’était pas l’important. L’important, c’était qu’il était là.
***
[Duo]
Je saurais pas exactement dire combien de temps s’est écoulé depuis cette histoire…Peut-être quelques jours, peut-être quelques mois, peut-être des années.
Je dis ça parce que c’est le genre de chose dont on a beau vouloir s’en débarrasser, ça vous colle à la peau comme du goudron.
Arsy s’est suicidé deux jours après ma petite visite. Je serais bien allé danser sur sa tombe, ça lui aurait fait les pieds. En fait j’étais plutôt furieux. Il a choisi la voix facile. Est-ce que Heero s’est suicidé, lui ? Et il a sûrement plus souffert que ce connard !
Heero n’a rien dit à la nouvelle, mais je suis sûr qu’il a dû cogiter dessus pendant des heures. D’une certaine façon, j’ai espéré que ça le délivrerait totalement de son passé, mais je sais que c’est complètement utopique. Ça fait des années que Solo est mort, et pourtant, quelque fois, quand un truc me fait rire, je continue à me dire, « tiens, faudra que je le répète à Solo ».
Eh.
Mais the show must go on. On a repeint les murs de la salle de bain en bleu ciel. Il y a une clef dans les serrures de toutes nos portes, et elles sont toujours grandes ouvertes. On est retourné à Florence, dans le même hôtel, et cette fois c’était quasi une lune de miel officielle.
En ce moment même, il est en train de me menacer de mort en me lançant son adorable regard furieux parce que j’ai encore failli faire exploser la cuisine en essayant de cuire un œuf au plat. Pas ma faute si j’avais oublié que le gaz était allumé…
Et en le regardant m’expliquer pour la énième fois, baka, qu'on vérifie toujours, tu m’écoutes Duo, toujours que le gaz est éteint, et la prochaine fois laisse-moi faire ou omae wo korosu, je me dis qu’un jour, oui, j’en suis sûr, il arrêtera de se réveiller en sursaut au milieu de la nuit avec ce regard de gosse qui a fait un cauchemar, et moi j’arrêterai d’avoir peur qu’il disparaisse dès que je détourne les yeux.
Un jour, sûrement.
Très bientôt.
OWARI.