Digimon : Boucle
Feb. 23rd, 2006 11:00 am![[personal profile]](https://www.dreamwidth.org/img/silk/identity/user.png)
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Boucle
Genre : apprentissage d'angst. XD
Couples : Yamachi/Taito, Takedai
Rating : PG
Date : Première moitié de 2002
Disclaimer : Digimon est pas moi, et ça me perturbe pas plus que ça, je dois dire. :p
Note : Ecrit pour une copine de lycée. J'y connaissais pas grand-chose alors y'a sûrement des inexactitudes de timeline pour le peu que y'en a, mais bon... ^^; La séquelle est un accident, je le jure. XD
Je me souviens d'avant. On était trois amis, les trois meilleurs amis du monde. Je me souviens de rires, je me souviens d'étés passés ensemble, je me souviens des premiers concerts, des matchs de foot et de tennis où l'on allait en confiance, en sachant que les deux autres étaient là, dans le public, rien que pour soi, qu'ils ne hurlaient que pour soi.
Je me souviens quand je suis tombé amoureux de Sora.
Je me souviens quand Yamato et elle m'ont annoncé qu'ils sortaient ensemble.
Je me souviens avoir ri et félicité, je me souviens m'être moqué, je me souviens avoir joué mon rôle parfaitement, si parfaitement qu'aucun d'eux n'a jamais su qu'ils m'avaient tué.
Et pourtant rien n'a vraiment changé. C'étaient les mêmes rires, les mêmes étés, les mêmes concerts et matchs et les mêmes encouragements.
Et j'ai joué mon rôle à la perfection, j'ai soutenu, j'ai tout remis en place quand ils se disputaient, j'ai relativisé pour eux quand ça devenait dramatique, et je me suis accroché, accroché à en pleurer dans mon lit tous les soirs, accroché à en rire quand je voulais hurler. Accroché désespérément pour que tout reste comme avant.
Et pourtant je hurle, je hurle à son visage crispé, ses dents serrées, je hurle, je veux comprendre je veux savoir, qu'il m'explique pourquoi Sora pleure, pourquoi elle s'est effondrée dans mes bras, pourquoi elle a dit que Yamato ne l'aimait pas.
– Ce n'est pas vrai, rétorque-t-il. Je l'aime. Mais je ne suis pas amoureux d'elle. C'est une amie, et rien d'autre. Je n'avais pas l'intention de lui dire, elle m'a pris par surprise. Je ne voulais pas la blesser.
Et je déteste son ton presque froid, indifférent, ce ton de connard qu'il prend lorsqu'il me cache quelque chose. Et je déteste l'idée d'avoir souffert tout ce temps pour rien. Pour rien.
– Ça fait trois ans que tu sors avec elle ! Trois foutues années !! Pourquoi ?! Pourquoi ?!
– Moi je n'ai pas ton courage, ni ta force, dit-il.
Sa voix est basse, ses yeux froids cachent mal sa douleur, et j'ai l'impression de me regarder dans un miroir. La même douleur que moi.
Qu'est-ce que je n'ai pas vu ? Qu'est-ce qui m'a échappé ?
– Tu crois que je ne sais pas que tu es amoureux de Sora ? Tu crois que je suis aveugle ? Le seul aveugle ici, c'est toi… Moi je n'aurais pas supporté de voir la personne que j'aime être avec quelqu'un d'autre, continue-t-il. Alors j'ai fait ce qu'il fallait pour être sûr que ça n'arrive pas.
Il me regarde et soudain je n'ai plus envie de connaître la réponse. Plus envie de savoir. Je veux juste partir et aller hurler quelque part que la vie est injuste, tordue, et qu'elle se fout de ma gueule.
– Tu peux me détester, dit-il à voix basse. Mais c'est comme ça. J'aurais jamais supporté de te voir avec Sora… Je t'aime trop… J'aurai encore préféré nous tuer… Je t'aime trop…
La vitre explose et je mets quelques secondes avant de réaliser que c'est mon poing qui est passé au travers. Je vous en prie, laissez-moi retourner en arrière… Laissez-moi revenir avant… Et ma gorge serrée me fait mal, et mes yeux secs me brûlent.
Yamato prend ma main ensanglantée et je ne bouge pas, je ne peux pas bouger.
Il y a sûrment quelqu'un là haut qui doit bien rire de nous.
Et je ne bouge pas quand il me nettoie la main en silence. Je ne bouge pas quand il me prend dans ses bras, me serre contre lui en murmurant, sans s'arrêter, comme un fou. "Je t'aime je t'aime je t'aime je t'aime je t'aime…"
Ces mots à cause desquels Sora pleurait tout à l'heure.
Quelque chose glisse sur ma joue, mais ce n'est pas moi qui pleure.
– Taichi… Tai…
– Lâche-moi… S'il te plaît, lâche-moi…
Je t'en supplie… Lâche-moi avant que je pleure aussi. Son étreinte se resserre un court instant, puis il s'écarte, il ne me regarde pas, et moi je m'enfuis.
Je fais demi-tour et je pars en courant, et il ne me retient pas. Je cours, je cours, je ne sais pas où je vais, quelque part, ailleurs, le plus loin possible de cette situation ridicule, tellement ridicule que j'en aurais ri en la voyant à la télé.
Mais ça fait mal. Ça fait si mal.
J'arrive dans le parc. Au loin, je reconnais les silhouette de Takeru, Daisuke et ma sœur. Je me mets hors de vue, je ne veux plus voir personne. Pas encore, je ne suis pas prêt.
Et au loin, je les vois ensemble, et je pense à nous avant, nous étions comme eux, avant, avant que commence cette boucle infernale.
Cette boucle infernale.
Le regard de Takeru sur Daisuke. Les bravades de Daisuke pour Hikari. Les sourires d'Hikari à Takeru.
Cette boucle infernale.
Et figé je regarde le drame qui se joue sous mes yeux. Ce drame que je n'avais pas su voir avant, quand c'était nous qu'il concernait.
La nuit commence à tomber, ma sœur fait un signe de la main avant de partir pour rentrer. Je devrais rentrer aussi.
Daisuke et Takeru restent seuls, je vois leurs lèvres bouger, ils parlent un peu, puis Daisuke hausse les épaules, sourit, salue Takeru et part à son tour en courant. Takeru reste seul, il ne bouge pas.
Et sans même y avoir pensé, je m'avance vers lui. Il m'entend, se retourne, et dans ses yeux, les yeux de Takeru, d'habitude si pleins d'espoir, dans les yeux de Takeru je vois le même regard hanté que dans les miens, que dans ceux de Yamato.
Nous nous fixons quelques secondes, et je le prends dans mes bras, je le serre. Il se raidit un instant puis me rend mon étreinte, ses épaules se mettent à trembler, et il pleure, il sanglote, et je sens les larmes glisser sur mes joues aussi, je ne voulais pas pleurer, je ne voulais pas…
"Je suis désolé, je suis désolé…"
Je ne sais pas pourquoi je dis ça, je ne sais pas à qui je dis ça, mais j'en ai besoin…Et je le répète, sans fin.
Je ne sais pas comment on en est arrivé là.
Je ne sais qui s'amuse avec nous.
Je ne sais plus lequel de nous deux console l'autre.
Je veux juste oublier, oublier que demain il faudra faire face. Jouer un nouveau rôle.
Et que recommence cette boucle infernale.
Fin
Sora Takenouchi entra dans la chambre doucement. Son petit ami, ou peut-être déjà ex petit ami, Yamato Ishida était assis par terre, le dos appuyé contre son lit, au milieu des débris de verre de sa fenêtre, une cigarette entre les doigts qui se consumait sans qu'il y ait vraiment touché.
Il leva les yeux vers elle et Sora lui fit un sourire pâle.
– Taichi va te tuer, dit-elle en désignant la cigarette.
– Je pense pas qu'il s'en donnera la peine, répliqua Yamato à voix basse.
– La fenêtre…?
– C'est lui. Sora…
– Non, ça va, je sais ce que tu vas dire.
– Tu… tu m'en veux pas ?
– Oh si. Mais je m'en veux aussi, alors ça balance.
Il la regarda d'un air surpris. Sora s'assit à côté de lui, lui prit la cigarette des mains et l'écrasa soigneusement sur un morceau de verre.
– Peut-être que si j'avais accepté de voir les choses en face, ça ne serait pas arrivé, dit-elle.
– Je…
– Tu lui as dit ?
– Pardon ?
– Tu lui as dit, à Taichi ?
– Lui dire quoi ? se défendit Yamato, mal à l'aise.
– Je sais pourquoi tu n'es pas amoureux de moi, Matt. En fait, je l'ai toujours su…Je suis pas aussi aveugle qu'on pourrait le croire. Seulement j'ai jamais voulu l'admettre.
– Sora…
– Mais toi aussi t'as fichu un sacré bordel. En fait, on a tous les deux voulu préserver l'unité du groupe, résultat on a tout foutu en l'air… Alors, tu lui as dit ?
Yamato eut un sourire amer et désigna la fenêtre brisée et Sora secoua la tête.
– Il faut toujours qu'il fasse des trucs comme ça, fit-elle.
Il y eut un silence, puis :
– Qu'est-ce qu'il va se passer, maintenant ? murmura Matt, la voix cassée.
– J'en sais rien, dit Sora dans un soupir. Je n'en sais strictement rien.
***
La porte de l'appartement des Yagami s'ouvrit, et Hikari vit avec surprise Takeru entrer avec son frère. Taichi avait la main blessée.
– Tai ? 'keru ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
– Je… Il faut que je te parle de quelque chose, Hikari, murmura le plus jeune des deux.
La sœur de Taichi les regarda tour à tour, un peu inquiète, puis hocha la tête et Taichi les laissa seuls dans la chambre. Il se recroquevilla sur le canapé et zappa à la télé, sans s'arrêter sur aucune chaîne, juste pour avoir quelque chose à faire.
Takeru et lui avaient parlé, et Taichi l'avait pressé de tout dire à sa sœur. Attendre ne ferait qu'empirer les choses. Et s'il n'avait pas le courage de parler à Daisuke, au moins sa sœur aurait été préservée de ce qui aurait pu arriver.
Taichi avait beau ne pas vouloir y penser, il entendait encore Yamato répéter "Je t'aime, je t'aime…", et ça lui donnait envie de hurler. Il aurait préféré donner sa bénédiction lors de son mariage avec Sora plutôt que de le savoir.
Savoir que Yamato souffrait comme lui depuis toutes ces années, savoir qu'il était la cause de cette souffrance, savoir que malgré ses efforts, il n'avait rien pu faire pour empêcher l'éclatement de leur petit groupe. Qu'il avait échoué.
Taichi eut un sourire amer. Il avait encore du mal à comprendre. A réaliser. Les "Je t'aime" de son ami semblaient complètement hors contexte. Ils restaient à l'extérieur de lui, comme si la scène qui s'était jouée une heure plus tôt n'était qu'un mauvais film dans lequel se démenaient des acteurs qui leur ressemblaient vaguement.
Mais la douleur de sa main lui rappelait combien c'était vrai, trop vrai.
"Parlez-moi d'un triangle amoureux", pensa-t-il, sarcastique.
Il savait que la douleur arriverait plus tard, cette nuit, dans l'obscurité sécurisante de sa chambre, et que, caché sous les couvertures, il réaliserait d'un coup qu'il avait perdu ses deux meilleurs amis en quelques minutes.
La porte de la chambre s'ouvrit, le tirant de ses pensées. Takeru et Hikari en sortirent. Sa sœur était pâle, mais souriait. Ils se parlèrent encore quelques secondes, puis Takeru serra Hikari dans ses bras, lança un regard de gratitude soulagée à Taichi puis sortit de l'appartement. Hikari resta sans bouger quelques secondes avant de se diriger vers son frère et de se blottir contre lui. Il la serra fort dans ses bras, mais elle ne pleurait pas.
– C'est mieux comme ça, n'est-ce pas ? murmura-t-elle. Tu sais, tout le monde est tellement persuadé que nous sommes fait l'un pour l'autre que je me suis mise à y croire aussi. C'est bizarre comme les choses semblent être le contraire total de ce qu'elles sont.
– Si tu savais…
Hikari regarda son frère dans les yeux.
– Pourquoi t'as tenu, toutes ces années ? Pourquoi ? Parce que Yamato était ton meilleur ami ? Pour ne pas faire de peine à Sora ? Pourquoi ?
Taichi ferma les yeux et posa sa tête sur celle de sa sœur.
– Un peu de tout ça, et puis… A cause du DigiMonde.
– Je ne comprends pas…
– On n'est pas nombreux, Kari. On n'est pas nombreux, et en dehors de nous au Japon, on n'est pas unis. Je… Si quoique ce soit arrive, on doit se préserver des tensions externes. Lorsqu'on a dû s'unir avec les Elus des autres pays, je me suis rendu compte à quel point nous étions mal organisés. Ils comptaient tous sur moi pour tout arranger, tout mettre en place.
Taichi garda le silence un instant.
– Un seul faux pas et tout s'écroule, murmura-t-il en frissonnant. Imagine si à cet instant où on avait plus que tout besoin d'être unis, imagine si Yamato et moi n'étions pas capable de fusionner à cause d'un malaise entre nous, imagine les tensions entre nous tous, parce que chacun aurait pris parti pour untel. C'était comme la première fois, lorsque nous étions perdus dans le DigiMonde, c'était comme la première fois, mais en pire.
Taichi prit une inspiration. "Je n'ai pas le droit de faire intervenir mes sentiments personnels. Pas quand une menace peut éclater à tout instant. Je n'en ai pas le droit, Kari."
Hikari écouta avec passion, parce que contrairement à ce que les gens croyaient, son frère n'était pas quelqu'un d'ouvert. Il se retranchait derrière son attitude exubérante. La plupart des personnes s'arrêtaient à ça.
Cachez-vous derrière une attitude froide et hostile, on dira tout de suite de vous que vous êtes quelqu'un de très sensible et facilement blessé qui dissimule ses sentiments.
Cachez-vous derrière une attitude joyeuse, bruyante, enthousiaste, et on dira de vous que vous êtes quelqu'un d'ouvert et sans complexe.
Ils ont tendance à oublier que la meilleure défense, c'est l'attaque.
Mais quand on faisait attention, on se rendait vite compte que Taichi ne parlait jamais de lui, ou qu'il le faisait en riant, comme si ça n'avait pas d'importance, comme si rien ne pouvait le toucher. Taichi était l'être le plus secret qu'Hikari connaissait.
Alors elle l'écouta, et elle comprit.
– Tu as peur ? demanda-t-elle.
– Je suis terrifié, répondit-il doucement. Si j'avais su… si j'avais su, la première fois, j'aurais donné avec bonheur la place de leader à Yamato.
– Menteur, murmura Hikari. Tu aurais serré les dents et tu l'aurais portée sur tes épaules, comme tu portes tout le reste. Je te connais, c'est pas pour rien que tu es Courage. Mais grand frère, cette fois, si tu t'enfuis, personne ne t'en voudras.
Taichi ne répondit pas et ils restèrent longtemps, tous les deux l'un contre l'autre, en silence et loin de tout.
***
Trois jours plus tard.
– Yagami Taichi, le proviseur veut vous voir.
Yamato se tourna vers Taichi, se demandant ce qu'il se passait. Trois jours étaient passés. Sora et Yamato étaient officiellement séparés, et Taichi réussissait Dieu savait comment à faire comme si de rien n'était, à être lui-même avec tout le monde, même Yamato. Mais le porteur du symbole de l'Amitié n'était pas dupe. Il sentait toutes les barrières que Taichi avaient mises autour de lui.
Courage se leva et suivit le surveillant jusqu'au bureau du proviseur, se demandant ce qu'il avait fait. Mais celui-ci l'accueillit avec un sourire.
– Yagami-kun, asseyez-vous. Je viens de recevoir un courrier vous concernant. Vous avez été remarqué l'année dernière lors de vos exploits des matchs de football. Et vous avez été désigné pour partir en stage de six mois dans un club français.
– En… en France ? balbutia Taichi, abasourdi.
– Je sais que l'année scolaire vient seulement de commencer, dit-il. Vous avez une semaine pour vous décider et obtenir les autorisations nécessaires. Le départ est prévu dans un mois. Vous suivrez un cursus scolaire identique au notre, avec d'autres étudiants japonais, et vous reviendrez à temps pour passer les examens de fin d'année.
– Je…
– Prenez le temps d'y réfléchir. Vous pouvez retourner en cours.
Avant d'avoir encore digéré l'information, Taichi se retrouvait dans le couloir. Etourdi, il resta un moment immobile, avant qu'une joie sans mélange l'envahisse. Il avait envie de courir et de le hurler à tout le monde. La France ! Il avait été choisi ! Choisi !!
A cette pensée, il s'arrêta net.
C'est vrai… choisi. Il était toujours le leader des Elus.
Mais dans sa tête, la voix de sa sœur murmura : " Mais grand frère, cette fois, si tu t'enfuis, personne ne t'en voudras…"
Et, un sourire sur les lèvres, résolu, Taichi retourna en cours, refusant de répondre aux regards interrogateur des autres.
Pour la première fois de sa vie, il allait s'enfuir.
Convaincre ses parents n'avait pas été trop difficile, c'était une chance incroyable à ne surtout pas manquer. Une semaine plus tard, Taichi réunissait les Elus pour leur annoncer la nouvelle, et tout le monde était heureux pour lui, sans arrière pensée, sauf peut-être Yamato qui garda le silence, mais Taichi l'ignora avec une application calculée.
Deux jours plus tard, sur le terrain de sport, il convoqua tous les joueurs. Daisuke était là aussi, en première année de lycée, et le seul de l'équipe.
Takeru, Hikari et Miyako étaient derrière eux dans les gradins pour assister à l'entraînement.
Taichi leur sourit puis se tourna vers ses joueurs.
– Pendant que je ne serais pas là, il va vous falloir un nouveau capitaine, dit-il. Daisuke, viens ici.
– M…moi ???
Pour la première fois de sa vie, il se retrouvait sans voix. Par contre, les autres joueurs protestèrent immédiatement, il était trop jeune, trop inexpérimenté.
– Il est aussi meilleur que vous, rétorqua Taichi. Et il a un don naturel pour coordonner les gens, croyez-moi. J'en ai parlé au professeur Kazuki qui n'émet pas d'objection. Kotaro, ça te va ?
Un joueur hocha la tête sans rien dire. Kotaro était le plus ancien avec Taichi, et considéré comme le capitaine en second. Ils étaient très amis et à eux deux faisaient un duo d'enfer sur le terrain. En faisant appel à lui, Taichi demandait implicitement qu'il surveille que tout se passe bien.
– Si quelqu'un a une objection, qu'il l'exprime sur le terrain, un contre un avec Daisuke.
Aucun d'eux ne pipa mot. Ils devaient reconnaître que tout première année qu'il soit, Daisuke était plus doué que la plupart des gens.
Daisuke n'en revenait pas. Puis il croisa le regard de Takeru dans les gradins et se reprit, fit un signe de victoire avec un sourire immense. "Ken va être vert", pensa-t-il.
– Takeru, t'es de corvée de matchs, lança Taichi en lui faisant un clin d'œil. Je veux un rapport complet de chaque matchs pour savoir comment il se débrouille.
– Eh ! J'ai pas besoin de baby-sitter ! protesta Daisuke. Et surtout pas de celui-là !
– T'as peur de pas être à la hauteur ? intervint Takeru.
– Pas à la hauteur ? Attends un peu que je te montre ce que je sais faire !
– Je n'attend que ça, assura Takeru avec un sourire faussement innocent.
Miyako se tourna vers lui d'un air presque choqué. "Je rêve…" marmonna-t-elle.
"Takeru!" protesta Hikari sans pouvoir s'empêcher de sourire, et Taichi éclata de rire, suivi par les autres joueurs, devant l'air décontenancé de Daisuke qui avait encore l'impression d'avoir loupé quelque chose.
Trois semaines passèrent encore. Trois semaines durant lesquelles Taichi fut occupé à préparer son voyage, trois semaines durant lesquelles il n'eut pas à penser à Yamato, à Sora, trois semaines de vacances.
Le dernier jour, seuls Yamato, Takeru et Sora vinrent, Yamato tiré par Sora et son frère, avant qu'il ne parte à l'aéroport. Taichi leur dit au revoir en souriant, comme si tout était normal, comme avant.
Puis juste avant de monter dans la voiture, il se tourna vers Yamato. "Dans six mois, tout sera comme avant, n'est-ce pas ?"
Il n'attendit pas de réponse, lui sourit un peu tristement et ferma la porte. Yamato regarda la voiture disparaître sans un mot, mais furieux.
Alors tu crois que six mois sans te voir suffiront à éteindre mon amour ? Tu crois sincèrement que je t'aime d'une façon aussi frivole ? Ça fait cinq ans que je supporte tes yeux qui ne me voient pas, Taichi Yagami. Dans six mois je t'aimerai autant qu'aujourd'hui. Yamato serra les poings.
Rien ne sera jamais comme avant, parce qu'il n'y a jamais eu d'avant.
***
Cinq mois et demi plus tard.
Daisuke regarda d'un œil inquiet le tableau d'affichage des futurs matches, puis poussa un soupir de soulagement à décoiffer un chauve.
– Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Takeru en arrivant avec Hikari.
– On affronte l'équipe de Ken après le retour de Taichi, répondit le joueur de foot.
– Et alors ? insista Takeru.
– Comment ça et alors ? s'indigna Daisuke. Mais ça va être le match du siècle ! Je veux pas affronter Ken si Taichi est pas là, ça aurait aucun intérêt !
Espoir leva les yeux au ciel. Il avait gardé parole et suivit chacune des performances de Daisuke, et leur entente s'était remarquablement améliorée depuis.
Daisuke s'étira, puis se tourna vers eux :
– Je dois rejoindre Ken tout à l'heure. Vous venez ?
– Pas de problème, répondit Hikari.
Mais Takeru, le regard un peu de côté, déclina, prétextant devoir rejoindre son frère, puis partit presque en courant sous le regard un peu étonné de Daisuke.
– Dis-moi, Kari…'keru en pincerait pas pour Ken, par hasard ?
Hikari faillit s'étouffer et le regarda comme si il était devenu complètement fou.
– Oh, ça va, c'est juste une question…
– Qu'est-ce qui te fait dire ça ? demanda Hikari, curieuse.
– A chaque fois qu'on doit voir Ken il se défile.
"Plutôt de la jalousie, si tu veux mon avis…" pensa-t-elle avec un sourire en coin.
– A propos… Ça a évolué, entre Taichi et Yamato ?
Et Hikari manqua s'étouffer pour la seconde fois.
– Je… euh… comment tu…?
– Je suis peut-être pas très fin, mais faudrait être aveugle et sourd pour pas piger que la star est dingue de ton frère. Jamais compris pourquoi il était sorti avec Sora alors qu'il a l'air de vouloir sauter sur Taichi toutes les cinq secondes. Et je suppose que y'a un truc qui s'est passé avant son départ, pas vrai ? Ça sentait le roussi, de toute façon. Alors ?
– Yamato a tout avoué à mon frère, répondit Hikari.
– Ouch. Ça s'est mal passé ?
– Euh… plus ou moins. Tai était pas vraiment… prêt à l'entendre. Mais ça va mieux, maintenant. Ils se sont écrits. Mais je sais par Takeru qu'ils n'en ont pas reparlé.
– Comment ça ?
– Taichi est un dieu dans l'art d'éviter les sujets qui le dérangent, répondit Hikari en haussant les épaules. Et Yamato est pas prêt à tenter encore quoique ce soit, donc… On verra ça quand Tai reviendra.
Alors Taichi revint, égal à lui-même, le sourire jusqu'aux oreilles, les cheveux en pétard, et les yeux brillants de fausse insouciance. Il reprit son amitié avec Yamato là où il l'avait laissée, jouant son rôle sans hésitation, sans un seul faux pas, comme si rien ne s'était jamais passé, comme si son départ avait tout effacé. Il n'avait pas de geste de recul lorsque Yamato passait son bras autour de ses épaules, et il n'hésita pas à se jeter dans ses bras quand ils gagnèrent le championnat, battant de justesse l'équipe de Ken grâce à une passe de Taichi à Daisuke qui avait marqué un but sensationnel.
Un soir, pourtant, Takeru vint trouver son frère.
– Pourquoi tu joues le jeu ? demanda-t-il sérieusement.
Yamato, surpris, le regarda quelques secondes puis haussa les épaules.
– Je l'ai joué pendant cinq ans, frangin. Ça ne change pas grand chose. Et si ça fait plaisir à Taichi de croire que tout est bien dans le meilleur des mondes, ce n'est pas moi qui vais tout lui foutre en l'air.
– Mais grand frère…
– Takeru. C'est comme ça, c'est tout… Au moins, il n'est plus amoureux de Sora… Je préfère qu'on soit amis que rien du tout. Et toi tu devrais comprendre mieux que personne.
Takeru sursauta. Il n'avait rien dit à son frère, pourtant…
– Tu penses peut-être que j'avais pas remarqué ? fit celui-ci avec un sourire moqueur. Tu crois que c'est un gêne, chez nous, les mecs à lunettes de piscine ?
– Yamato ! protesta Takeru, les joues enflammées.
– Alors ? Raconte un peu.
– Y'a rien à dire… marmonna Espoir en détournant les yeux.
Yamato le tira vers lui, et le prit dans ses bras. Il était peut-être au lycée, mais Takeru restait son petit frère.
– Il court toujours après Kari ? demanda-t-il doucement.
– Non, c'est pire, répondit Takeru. Je crois qu'il en pince pour Ken…
Yamato lui caressa la joue pour le réconforter.
– Perd pas espoir, murmura-t-il.
– Très drôle.
– Je suis sérieux, frangin. Tu as dit que tu "crois" qu'il en pince pour Ken. Rien n'est sûr. Il faut jamais perdre espoir. Moi je l'ai toujours… Et puis c'est toi le plus mignon.
– Tu dis ça parce que je suis ton frère et qu'on se ressemble, se moqua un peu Takeru.
Yamato protesta pour la forme, et le sujet dévia.
L'année scolaire se termina, les examens se passèrent bien, et tous les Digisauveurs se réunirent pour aller passer une semaine dans une maison secondaire des parents de Ken. Sora s'arrangea avec les autres pour que Tai et Yamato soient dans la même chambre. Si Taichi comprit le stratagème, il n'en dit rien, comme d'habitude.
Il se coucha sur l'un des deux matelas posés par terre, s'effondra plutôt.
– Je te rejoins dans dix minutes, lança Yamato avant de ressortir de la chambre.
– Honhon.
Taichi entreprit de se lever pour enfiler un caleçon propre et son tee-shirt de nuit. Toujours aussi tête en l'air, il réussit à se prendre les pieds dans le fil électrique de l'unique lampe qui tomba, brilla très fort un court instant avant de s'éteindre.
– Oops. Plus d'ampoule.
Tai haussa les épaules, reposa la lampe sur la table de chevet et s'allongea sur le matelas. Quelques secondes plus tard, Yamato entrait dans la chambre.
– Taichi, la lumière s'te plaît.
– A plus. Cassée.
– …Tu rigoles ? Et comment je vais atteindre mon lit, moi ?
– Bah, il est à côté du mien. Guide-toi à ma voix.
Yamato avança prudemment dans l'obscurité. Son regard s'habituait un peu au noir, et il put localiser la forme de Taichi, garda les yeux fixés dessus pour savoir où il allait et trébucha sur le bout du matelas, s'écroulant de tout son long sur son ami avec un cri surpris. Ils gardèrent le silence quelques secondes, puis Yamato ouvrit les yeux, sursautant presque lorsqu'il se retrouva à quelques centimètres du visage de Taichi.
Il y eut un nouveau silence, un peu mal à l'aise, cette fois, puis.
– Ya-ma-to.
Il y avait une claire réprobation dans la voix de Taichi, presque de la colère. "Merde", pensa le chanteur. Ça allait tout foutre en l'air, toute leur amitié reconstruite, toute…
– Tu pues la cigarette.
Yamato s'immobilisa, ne sachant pas s'il était soulagé ou encore plus affolé. Il se redressa sans répondre et s'assit en tailleur. Taichi l'imita, et le blond pouvait sentir son regard sur lui.
– Depuis quand tu as recommencé ? demanda-t-il d'un ton un peu déçu.
– Quelques temps avant que tu partes, murmura Yamato.
– Tu m'avais promis.
– C'est juste une de temps en temps, se justifia le chanteur.
– Ça change rien, rétorqua Taichi. Je veux pas que tu crèves à trente ans à cause d'une cigarette une fois de temps en temps.
– Tai, tu crois pas que t'exagères un peu ?
– A peine. Si c'est pas trente ce sera quarante. Et puis ça abîme ta voix. Comment tu veux chanter correctement, hein ?
– Tai…
– T'es mon meilleur ami, Yama, dit-il doucement. Je sais pas ce que je ferais si t'étais pas là. Je veux pas te perdre.
Il y eut un silence, puis Taichi reprit, d'une voix un peu absente, comme s'il se parlait à lui-même. "Ça a été dur, six mois. J'aurais jamais cru que ça aurait pu être aussi dur. Tu sais, je…"
Taichi s'interrompit, hésitant. Yamato retenait son souffle, le cœur battant à toutes vitesses.
– Je… je voudrais t'aimer comme tu m'aimes…
– Tai… s'étrangla Yamato.
– Laisse-moi finir ! C'est difficile, alors laisse-moi finir avant que je réussisse à tout faire passer pour une gigantesque blague, supplia Taichi. Je voudrais vraiment apprendre à t'aimer comme tu m'aimes, parce que je supporte pas d'être si loin de toi, physiquement et spirituellement. Peut-être que je t'aime déjà, tu sais, mais il me faut le temps de le réaliser. Je te promets rien, au début, mais… Tu comprends ?
Yamato hocha la tête avec prudence. Sa vie se jouait peut-être à cet instant, il avait l'impression qu'il allait exploser.
– Alors… est-ce que… est-ce qu'on peut sortir ensemble ? Passer du temps comme des gens amoureux sont censés passer du temps, aller au cinéma pas comme des meilleurs amis mais comme un rendez-vous, ou un truc du genre. Pour que… que je m'habitue à l'idée.
– D'accord, acquiesça Yamato, et il s'émerveilla du ton calme qu'il avait, alors qu'à l'intérieur de lui c'était feux d'artifice, il aurait voulu hurler de bonheur, aller réveiller tout le monde pour leur dire que ça y'est, Taichi était à lui… ou presque…
– Je peux t'embrasser ? demanda le brun un peu timidement.
Yamato hocha la tête de nouveau, cette fois sur le point de s'évanouir. Il rêvait, ce n'était pas possible autrement… Il allait se réveiller… C'était trop beau…
– Ferme-les yeux, ça me rend nerveux que tu me regardes.
Le blond s'exécuta immédiatement. Il attendit, sentit le souffle de Taichi sur son visage, attendit, attendit… Au bout de quelques temps, confus, il rouvrit les yeux et vit que son ami - non, non, son petit ami, se rappela-t-il avec joie - s'était figé.
– J'y arrive pas, confia-t-il, penaud.
Ils se regardèrent dans les yeux quelques instants, puis explosèrent de rire au même moment. "On n'a pas l'air du toouuut de deux idiots", rigola Taichi, plié en deux.
"C'est toi, l'idiot", rétorqua Yamato, et il se pencha sans prévenir, déposant ses lèvres sur celles de Taichi, le cœur battant.
Courage se figea, surpris, les yeux grands ouverts, presque paniqué. Puis il se calma lorsque Yamato ne fit rien de plus, attendant qu'il réagisse, et il bougea ses lèvres contre les siennes, comme pour goûter, essayer.
Il avait les lèvres douces.
Quelques secondes plus tard, ils avaient jeté toute timidité, et s'embrassaient avec passion, sans retenue, comme si plus rien n'existaient en dehors d'eux.
Et Taichi se dit que d'une certaine manière, c'était vrai.
Le lendemain matin, lorsque Sora ouvrit la porte pour les réveiller, elle les surprit tous les deux sur le lit de Taichi, profondément endormis, et enlacés comme deux amants.
Elle sourit, s'empressa de prévenir les autres qui vinrent voir à tour de rôle en silence pour ne pas les réveiller, puis Sora referma la porte.
Au moment de faire demi-tour, Daisuke se prit les pieds dans ceux de Iori, voulut se raccrocher à Takeru pour ne pas tomber mais l'entraîna dans sa chute et se retrouva avec le blond un peu étourdi au-dessus de lui. Tout le monde éclata de rire, et Ken, moqueur, commenta : "T'es jaloux des deux autres, Dais ?"
Le garçon en question rougit furieusement, et Takeru sourit.
Yamato avait raison.
Il fallait garder espoir.
OWARI
Genre : apprentissage d'angst. XD
Couples : Yamachi/Taito, Takedai
Rating : PG
Date : Première moitié de 2002
Disclaimer : Digimon est pas moi, et ça me perturbe pas plus que ça, je dois dire. :p
Note : Ecrit pour une copine de lycée. J'y connaissais pas grand-chose alors y'a sûrement des inexactitudes de timeline pour le peu que y'en a, mais bon... ^^; La séquelle est un accident, je le jure. XD
Je me souviens d'avant. On était trois amis, les trois meilleurs amis du monde. Je me souviens de rires, je me souviens d'étés passés ensemble, je me souviens des premiers concerts, des matchs de foot et de tennis où l'on allait en confiance, en sachant que les deux autres étaient là, dans le public, rien que pour soi, qu'ils ne hurlaient que pour soi.
Je me souviens quand je suis tombé amoureux de Sora.
Je me souviens quand Yamato et elle m'ont annoncé qu'ils sortaient ensemble.
Je me souviens avoir ri et félicité, je me souviens m'être moqué, je me souviens avoir joué mon rôle parfaitement, si parfaitement qu'aucun d'eux n'a jamais su qu'ils m'avaient tué.
Et pourtant rien n'a vraiment changé. C'étaient les mêmes rires, les mêmes étés, les mêmes concerts et matchs et les mêmes encouragements.
Et j'ai joué mon rôle à la perfection, j'ai soutenu, j'ai tout remis en place quand ils se disputaient, j'ai relativisé pour eux quand ça devenait dramatique, et je me suis accroché, accroché à en pleurer dans mon lit tous les soirs, accroché à en rire quand je voulais hurler. Accroché désespérément pour que tout reste comme avant.
Et pourtant je hurle, je hurle à son visage crispé, ses dents serrées, je hurle, je veux comprendre je veux savoir, qu'il m'explique pourquoi Sora pleure, pourquoi elle s'est effondrée dans mes bras, pourquoi elle a dit que Yamato ne l'aimait pas.
– Ce n'est pas vrai, rétorque-t-il. Je l'aime. Mais je ne suis pas amoureux d'elle. C'est une amie, et rien d'autre. Je n'avais pas l'intention de lui dire, elle m'a pris par surprise. Je ne voulais pas la blesser.
Et je déteste son ton presque froid, indifférent, ce ton de connard qu'il prend lorsqu'il me cache quelque chose. Et je déteste l'idée d'avoir souffert tout ce temps pour rien. Pour rien.
– Ça fait trois ans que tu sors avec elle ! Trois foutues années !! Pourquoi ?! Pourquoi ?!
– Moi je n'ai pas ton courage, ni ta force, dit-il.
Sa voix est basse, ses yeux froids cachent mal sa douleur, et j'ai l'impression de me regarder dans un miroir. La même douleur que moi.
Qu'est-ce que je n'ai pas vu ? Qu'est-ce qui m'a échappé ?
– Tu crois que je ne sais pas que tu es amoureux de Sora ? Tu crois que je suis aveugle ? Le seul aveugle ici, c'est toi… Moi je n'aurais pas supporté de voir la personne que j'aime être avec quelqu'un d'autre, continue-t-il. Alors j'ai fait ce qu'il fallait pour être sûr que ça n'arrive pas.
Il me regarde et soudain je n'ai plus envie de connaître la réponse. Plus envie de savoir. Je veux juste partir et aller hurler quelque part que la vie est injuste, tordue, et qu'elle se fout de ma gueule.
– Tu peux me détester, dit-il à voix basse. Mais c'est comme ça. J'aurais jamais supporté de te voir avec Sora… Je t'aime trop… J'aurai encore préféré nous tuer… Je t'aime trop…
La vitre explose et je mets quelques secondes avant de réaliser que c'est mon poing qui est passé au travers. Je vous en prie, laissez-moi retourner en arrière… Laissez-moi revenir avant… Et ma gorge serrée me fait mal, et mes yeux secs me brûlent.
Yamato prend ma main ensanglantée et je ne bouge pas, je ne peux pas bouger.
Il y a sûrment quelqu'un là haut qui doit bien rire de nous.
Et je ne bouge pas quand il me nettoie la main en silence. Je ne bouge pas quand il me prend dans ses bras, me serre contre lui en murmurant, sans s'arrêter, comme un fou. "Je t'aime je t'aime je t'aime je t'aime je t'aime…"
Ces mots à cause desquels Sora pleurait tout à l'heure.
Quelque chose glisse sur ma joue, mais ce n'est pas moi qui pleure.
– Taichi… Tai…
– Lâche-moi… S'il te plaît, lâche-moi…
Je t'en supplie… Lâche-moi avant que je pleure aussi. Son étreinte se resserre un court instant, puis il s'écarte, il ne me regarde pas, et moi je m'enfuis.
Je fais demi-tour et je pars en courant, et il ne me retient pas. Je cours, je cours, je ne sais pas où je vais, quelque part, ailleurs, le plus loin possible de cette situation ridicule, tellement ridicule que j'en aurais ri en la voyant à la télé.
Mais ça fait mal. Ça fait si mal.
J'arrive dans le parc. Au loin, je reconnais les silhouette de Takeru, Daisuke et ma sœur. Je me mets hors de vue, je ne veux plus voir personne. Pas encore, je ne suis pas prêt.
Et au loin, je les vois ensemble, et je pense à nous avant, nous étions comme eux, avant, avant que commence cette boucle infernale.
Cette boucle infernale.
Le regard de Takeru sur Daisuke. Les bravades de Daisuke pour Hikari. Les sourires d'Hikari à Takeru.
Cette boucle infernale.
Et figé je regarde le drame qui se joue sous mes yeux. Ce drame que je n'avais pas su voir avant, quand c'était nous qu'il concernait.
La nuit commence à tomber, ma sœur fait un signe de la main avant de partir pour rentrer. Je devrais rentrer aussi.
Daisuke et Takeru restent seuls, je vois leurs lèvres bouger, ils parlent un peu, puis Daisuke hausse les épaules, sourit, salue Takeru et part à son tour en courant. Takeru reste seul, il ne bouge pas.
Et sans même y avoir pensé, je m'avance vers lui. Il m'entend, se retourne, et dans ses yeux, les yeux de Takeru, d'habitude si pleins d'espoir, dans les yeux de Takeru je vois le même regard hanté que dans les miens, que dans ceux de Yamato.
Nous nous fixons quelques secondes, et je le prends dans mes bras, je le serre. Il se raidit un instant puis me rend mon étreinte, ses épaules se mettent à trembler, et il pleure, il sanglote, et je sens les larmes glisser sur mes joues aussi, je ne voulais pas pleurer, je ne voulais pas…
"Je suis désolé, je suis désolé…"
Je ne sais pas pourquoi je dis ça, je ne sais pas à qui je dis ça, mais j'en ai besoin…Et je le répète, sans fin.
Je ne sais pas comment on en est arrivé là.
Je ne sais qui s'amuse avec nous.
Je ne sais plus lequel de nous deux console l'autre.
Je veux juste oublier, oublier que demain il faudra faire face. Jouer un nouveau rôle.
Et que recommence cette boucle infernale.
Fin
Sora Takenouchi entra dans la chambre doucement. Son petit ami, ou peut-être déjà ex petit ami, Yamato Ishida était assis par terre, le dos appuyé contre son lit, au milieu des débris de verre de sa fenêtre, une cigarette entre les doigts qui se consumait sans qu'il y ait vraiment touché.
Il leva les yeux vers elle et Sora lui fit un sourire pâle.
– Taichi va te tuer, dit-elle en désignant la cigarette.
– Je pense pas qu'il s'en donnera la peine, répliqua Yamato à voix basse.
– La fenêtre…?
– C'est lui. Sora…
– Non, ça va, je sais ce que tu vas dire.
– Tu… tu m'en veux pas ?
– Oh si. Mais je m'en veux aussi, alors ça balance.
Il la regarda d'un air surpris. Sora s'assit à côté de lui, lui prit la cigarette des mains et l'écrasa soigneusement sur un morceau de verre.
– Peut-être que si j'avais accepté de voir les choses en face, ça ne serait pas arrivé, dit-elle.
– Je…
– Tu lui as dit ?
– Pardon ?
– Tu lui as dit, à Taichi ?
– Lui dire quoi ? se défendit Yamato, mal à l'aise.
– Je sais pourquoi tu n'es pas amoureux de moi, Matt. En fait, je l'ai toujours su…Je suis pas aussi aveugle qu'on pourrait le croire. Seulement j'ai jamais voulu l'admettre.
– Sora…
– Mais toi aussi t'as fichu un sacré bordel. En fait, on a tous les deux voulu préserver l'unité du groupe, résultat on a tout foutu en l'air… Alors, tu lui as dit ?
Yamato eut un sourire amer et désigna la fenêtre brisée et Sora secoua la tête.
– Il faut toujours qu'il fasse des trucs comme ça, fit-elle.
Il y eut un silence, puis :
– Qu'est-ce qu'il va se passer, maintenant ? murmura Matt, la voix cassée.
– J'en sais rien, dit Sora dans un soupir. Je n'en sais strictement rien.
***
La porte de l'appartement des Yagami s'ouvrit, et Hikari vit avec surprise Takeru entrer avec son frère. Taichi avait la main blessée.
– Tai ? 'keru ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
– Je… Il faut que je te parle de quelque chose, Hikari, murmura le plus jeune des deux.
La sœur de Taichi les regarda tour à tour, un peu inquiète, puis hocha la tête et Taichi les laissa seuls dans la chambre. Il se recroquevilla sur le canapé et zappa à la télé, sans s'arrêter sur aucune chaîne, juste pour avoir quelque chose à faire.
Takeru et lui avaient parlé, et Taichi l'avait pressé de tout dire à sa sœur. Attendre ne ferait qu'empirer les choses. Et s'il n'avait pas le courage de parler à Daisuke, au moins sa sœur aurait été préservée de ce qui aurait pu arriver.
Taichi avait beau ne pas vouloir y penser, il entendait encore Yamato répéter "Je t'aime, je t'aime…", et ça lui donnait envie de hurler. Il aurait préféré donner sa bénédiction lors de son mariage avec Sora plutôt que de le savoir.
Savoir que Yamato souffrait comme lui depuis toutes ces années, savoir qu'il était la cause de cette souffrance, savoir que malgré ses efforts, il n'avait rien pu faire pour empêcher l'éclatement de leur petit groupe. Qu'il avait échoué.
Taichi eut un sourire amer. Il avait encore du mal à comprendre. A réaliser. Les "Je t'aime" de son ami semblaient complètement hors contexte. Ils restaient à l'extérieur de lui, comme si la scène qui s'était jouée une heure plus tôt n'était qu'un mauvais film dans lequel se démenaient des acteurs qui leur ressemblaient vaguement.
Mais la douleur de sa main lui rappelait combien c'était vrai, trop vrai.
"Parlez-moi d'un triangle amoureux", pensa-t-il, sarcastique.
Il savait que la douleur arriverait plus tard, cette nuit, dans l'obscurité sécurisante de sa chambre, et que, caché sous les couvertures, il réaliserait d'un coup qu'il avait perdu ses deux meilleurs amis en quelques minutes.
La porte de la chambre s'ouvrit, le tirant de ses pensées. Takeru et Hikari en sortirent. Sa sœur était pâle, mais souriait. Ils se parlèrent encore quelques secondes, puis Takeru serra Hikari dans ses bras, lança un regard de gratitude soulagée à Taichi puis sortit de l'appartement. Hikari resta sans bouger quelques secondes avant de se diriger vers son frère et de se blottir contre lui. Il la serra fort dans ses bras, mais elle ne pleurait pas.
– C'est mieux comme ça, n'est-ce pas ? murmura-t-elle. Tu sais, tout le monde est tellement persuadé que nous sommes fait l'un pour l'autre que je me suis mise à y croire aussi. C'est bizarre comme les choses semblent être le contraire total de ce qu'elles sont.
– Si tu savais…
Hikari regarda son frère dans les yeux.
– Pourquoi t'as tenu, toutes ces années ? Pourquoi ? Parce que Yamato était ton meilleur ami ? Pour ne pas faire de peine à Sora ? Pourquoi ?
Taichi ferma les yeux et posa sa tête sur celle de sa sœur.
– Un peu de tout ça, et puis… A cause du DigiMonde.
– Je ne comprends pas…
– On n'est pas nombreux, Kari. On n'est pas nombreux, et en dehors de nous au Japon, on n'est pas unis. Je… Si quoique ce soit arrive, on doit se préserver des tensions externes. Lorsqu'on a dû s'unir avec les Elus des autres pays, je me suis rendu compte à quel point nous étions mal organisés. Ils comptaient tous sur moi pour tout arranger, tout mettre en place.
Taichi garda le silence un instant.
– Un seul faux pas et tout s'écroule, murmura-t-il en frissonnant. Imagine si à cet instant où on avait plus que tout besoin d'être unis, imagine si Yamato et moi n'étions pas capable de fusionner à cause d'un malaise entre nous, imagine les tensions entre nous tous, parce que chacun aurait pris parti pour untel. C'était comme la première fois, lorsque nous étions perdus dans le DigiMonde, c'était comme la première fois, mais en pire.
Taichi prit une inspiration. "Je n'ai pas le droit de faire intervenir mes sentiments personnels. Pas quand une menace peut éclater à tout instant. Je n'en ai pas le droit, Kari."
Hikari écouta avec passion, parce que contrairement à ce que les gens croyaient, son frère n'était pas quelqu'un d'ouvert. Il se retranchait derrière son attitude exubérante. La plupart des personnes s'arrêtaient à ça.
Cachez-vous derrière une attitude froide et hostile, on dira tout de suite de vous que vous êtes quelqu'un de très sensible et facilement blessé qui dissimule ses sentiments.
Cachez-vous derrière une attitude joyeuse, bruyante, enthousiaste, et on dira de vous que vous êtes quelqu'un d'ouvert et sans complexe.
Ils ont tendance à oublier que la meilleure défense, c'est l'attaque.
Mais quand on faisait attention, on se rendait vite compte que Taichi ne parlait jamais de lui, ou qu'il le faisait en riant, comme si ça n'avait pas d'importance, comme si rien ne pouvait le toucher. Taichi était l'être le plus secret qu'Hikari connaissait.
Alors elle l'écouta, et elle comprit.
– Tu as peur ? demanda-t-elle.
– Je suis terrifié, répondit-il doucement. Si j'avais su… si j'avais su, la première fois, j'aurais donné avec bonheur la place de leader à Yamato.
– Menteur, murmura Hikari. Tu aurais serré les dents et tu l'aurais portée sur tes épaules, comme tu portes tout le reste. Je te connais, c'est pas pour rien que tu es Courage. Mais grand frère, cette fois, si tu t'enfuis, personne ne t'en voudras.
Taichi ne répondit pas et ils restèrent longtemps, tous les deux l'un contre l'autre, en silence et loin de tout.
***
Trois jours plus tard.
– Yagami Taichi, le proviseur veut vous voir.
Yamato se tourna vers Taichi, se demandant ce qu'il se passait. Trois jours étaient passés. Sora et Yamato étaient officiellement séparés, et Taichi réussissait Dieu savait comment à faire comme si de rien n'était, à être lui-même avec tout le monde, même Yamato. Mais le porteur du symbole de l'Amitié n'était pas dupe. Il sentait toutes les barrières que Taichi avaient mises autour de lui.
Courage se leva et suivit le surveillant jusqu'au bureau du proviseur, se demandant ce qu'il avait fait. Mais celui-ci l'accueillit avec un sourire.
– Yagami-kun, asseyez-vous. Je viens de recevoir un courrier vous concernant. Vous avez été remarqué l'année dernière lors de vos exploits des matchs de football. Et vous avez été désigné pour partir en stage de six mois dans un club français.
– En… en France ? balbutia Taichi, abasourdi.
– Je sais que l'année scolaire vient seulement de commencer, dit-il. Vous avez une semaine pour vous décider et obtenir les autorisations nécessaires. Le départ est prévu dans un mois. Vous suivrez un cursus scolaire identique au notre, avec d'autres étudiants japonais, et vous reviendrez à temps pour passer les examens de fin d'année.
– Je…
– Prenez le temps d'y réfléchir. Vous pouvez retourner en cours.
Avant d'avoir encore digéré l'information, Taichi se retrouvait dans le couloir. Etourdi, il resta un moment immobile, avant qu'une joie sans mélange l'envahisse. Il avait envie de courir et de le hurler à tout le monde. La France ! Il avait été choisi ! Choisi !!
A cette pensée, il s'arrêta net.
C'est vrai… choisi. Il était toujours le leader des Elus.
Mais dans sa tête, la voix de sa sœur murmura : " Mais grand frère, cette fois, si tu t'enfuis, personne ne t'en voudras…"
Et, un sourire sur les lèvres, résolu, Taichi retourna en cours, refusant de répondre aux regards interrogateur des autres.
Pour la première fois de sa vie, il allait s'enfuir.
Convaincre ses parents n'avait pas été trop difficile, c'était une chance incroyable à ne surtout pas manquer. Une semaine plus tard, Taichi réunissait les Elus pour leur annoncer la nouvelle, et tout le monde était heureux pour lui, sans arrière pensée, sauf peut-être Yamato qui garda le silence, mais Taichi l'ignora avec une application calculée.
Deux jours plus tard, sur le terrain de sport, il convoqua tous les joueurs. Daisuke était là aussi, en première année de lycée, et le seul de l'équipe.
Takeru, Hikari et Miyako étaient derrière eux dans les gradins pour assister à l'entraînement.
Taichi leur sourit puis se tourna vers ses joueurs.
– Pendant que je ne serais pas là, il va vous falloir un nouveau capitaine, dit-il. Daisuke, viens ici.
– M…moi ???
Pour la première fois de sa vie, il se retrouvait sans voix. Par contre, les autres joueurs protestèrent immédiatement, il était trop jeune, trop inexpérimenté.
– Il est aussi meilleur que vous, rétorqua Taichi. Et il a un don naturel pour coordonner les gens, croyez-moi. J'en ai parlé au professeur Kazuki qui n'émet pas d'objection. Kotaro, ça te va ?
Un joueur hocha la tête sans rien dire. Kotaro était le plus ancien avec Taichi, et considéré comme le capitaine en second. Ils étaient très amis et à eux deux faisaient un duo d'enfer sur le terrain. En faisant appel à lui, Taichi demandait implicitement qu'il surveille que tout se passe bien.
– Si quelqu'un a une objection, qu'il l'exprime sur le terrain, un contre un avec Daisuke.
Aucun d'eux ne pipa mot. Ils devaient reconnaître que tout première année qu'il soit, Daisuke était plus doué que la plupart des gens.
Daisuke n'en revenait pas. Puis il croisa le regard de Takeru dans les gradins et se reprit, fit un signe de victoire avec un sourire immense. "Ken va être vert", pensa-t-il.
– Takeru, t'es de corvée de matchs, lança Taichi en lui faisant un clin d'œil. Je veux un rapport complet de chaque matchs pour savoir comment il se débrouille.
– Eh ! J'ai pas besoin de baby-sitter ! protesta Daisuke. Et surtout pas de celui-là !
– T'as peur de pas être à la hauteur ? intervint Takeru.
– Pas à la hauteur ? Attends un peu que je te montre ce que je sais faire !
– Je n'attend que ça, assura Takeru avec un sourire faussement innocent.
Miyako se tourna vers lui d'un air presque choqué. "Je rêve…" marmonna-t-elle.
"Takeru!" protesta Hikari sans pouvoir s'empêcher de sourire, et Taichi éclata de rire, suivi par les autres joueurs, devant l'air décontenancé de Daisuke qui avait encore l'impression d'avoir loupé quelque chose.
Trois semaines passèrent encore. Trois semaines durant lesquelles Taichi fut occupé à préparer son voyage, trois semaines durant lesquelles il n'eut pas à penser à Yamato, à Sora, trois semaines de vacances.
Le dernier jour, seuls Yamato, Takeru et Sora vinrent, Yamato tiré par Sora et son frère, avant qu'il ne parte à l'aéroport. Taichi leur dit au revoir en souriant, comme si tout était normal, comme avant.
Puis juste avant de monter dans la voiture, il se tourna vers Yamato. "Dans six mois, tout sera comme avant, n'est-ce pas ?"
Il n'attendit pas de réponse, lui sourit un peu tristement et ferma la porte. Yamato regarda la voiture disparaître sans un mot, mais furieux.
Alors tu crois que six mois sans te voir suffiront à éteindre mon amour ? Tu crois sincèrement que je t'aime d'une façon aussi frivole ? Ça fait cinq ans que je supporte tes yeux qui ne me voient pas, Taichi Yagami. Dans six mois je t'aimerai autant qu'aujourd'hui. Yamato serra les poings.
Rien ne sera jamais comme avant, parce qu'il n'y a jamais eu d'avant.
***
Cinq mois et demi plus tard.
Daisuke regarda d'un œil inquiet le tableau d'affichage des futurs matches, puis poussa un soupir de soulagement à décoiffer un chauve.
– Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Takeru en arrivant avec Hikari.
– On affronte l'équipe de Ken après le retour de Taichi, répondit le joueur de foot.
– Et alors ? insista Takeru.
– Comment ça et alors ? s'indigna Daisuke. Mais ça va être le match du siècle ! Je veux pas affronter Ken si Taichi est pas là, ça aurait aucun intérêt !
Espoir leva les yeux au ciel. Il avait gardé parole et suivit chacune des performances de Daisuke, et leur entente s'était remarquablement améliorée depuis.
Daisuke s'étira, puis se tourna vers eux :
– Je dois rejoindre Ken tout à l'heure. Vous venez ?
– Pas de problème, répondit Hikari.
Mais Takeru, le regard un peu de côté, déclina, prétextant devoir rejoindre son frère, puis partit presque en courant sous le regard un peu étonné de Daisuke.
– Dis-moi, Kari…'keru en pincerait pas pour Ken, par hasard ?
Hikari faillit s'étouffer et le regarda comme si il était devenu complètement fou.
– Oh, ça va, c'est juste une question…
– Qu'est-ce qui te fait dire ça ? demanda Hikari, curieuse.
– A chaque fois qu'on doit voir Ken il se défile.
"Plutôt de la jalousie, si tu veux mon avis…" pensa-t-elle avec un sourire en coin.
– A propos… Ça a évolué, entre Taichi et Yamato ?
Et Hikari manqua s'étouffer pour la seconde fois.
– Je… euh… comment tu…?
– Je suis peut-être pas très fin, mais faudrait être aveugle et sourd pour pas piger que la star est dingue de ton frère. Jamais compris pourquoi il était sorti avec Sora alors qu'il a l'air de vouloir sauter sur Taichi toutes les cinq secondes. Et je suppose que y'a un truc qui s'est passé avant son départ, pas vrai ? Ça sentait le roussi, de toute façon. Alors ?
– Yamato a tout avoué à mon frère, répondit Hikari.
– Ouch. Ça s'est mal passé ?
– Euh… plus ou moins. Tai était pas vraiment… prêt à l'entendre. Mais ça va mieux, maintenant. Ils se sont écrits. Mais je sais par Takeru qu'ils n'en ont pas reparlé.
– Comment ça ?
– Taichi est un dieu dans l'art d'éviter les sujets qui le dérangent, répondit Hikari en haussant les épaules. Et Yamato est pas prêt à tenter encore quoique ce soit, donc… On verra ça quand Tai reviendra.
Alors Taichi revint, égal à lui-même, le sourire jusqu'aux oreilles, les cheveux en pétard, et les yeux brillants de fausse insouciance. Il reprit son amitié avec Yamato là où il l'avait laissée, jouant son rôle sans hésitation, sans un seul faux pas, comme si rien ne s'était jamais passé, comme si son départ avait tout effacé. Il n'avait pas de geste de recul lorsque Yamato passait son bras autour de ses épaules, et il n'hésita pas à se jeter dans ses bras quand ils gagnèrent le championnat, battant de justesse l'équipe de Ken grâce à une passe de Taichi à Daisuke qui avait marqué un but sensationnel.
Un soir, pourtant, Takeru vint trouver son frère.
– Pourquoi tu joues le jeu ? demanda-t-il sérieusement.
Yamato, surpris, le regarda quelques secondes puis haussa les épaules.
– Je l'ai joué pendant cinq ans, frangin. Ça ne change pas grand chose. Et si ça fait plaisir à Taichi de croire que tout est bien dans le meilleur des mondes, ce n'est pas moi qui vais tout lui foutre en l'air.
– Mais grand frère…
– Takeru. C'est comme ça, c'est tout… Au moins, il n'est plus amoureux de Sora… Je préfère qu'on soit amis que rien du tout. Et toi tu devrais comprendre mieux que personne.
Takeru sursauta. Il n'avait rien dit à son frère, pourtant…
– Tu penses peut-être que j'avais pas remarqué ? fit celui-ci avec un sourire moqueur. Tu crois que c'est un gêne, chez nous, les mecs à lunettes de piscine ?
– Yamato ! protesta Takeru, les joues enflammées.
– Alors ? Raconte un peu.
– Y'a rien à dire… marmonna Espoir en détournant les yeux.
Yamato le tira vers lui, et le prit dans ses bras. Il était peut-être au lycée, mais Takeru restait son petit frère.
– Il court toujours après Kari ? demanda-t-il doucement.
– Non, c'est pire, répondit Takeru. Je crois qu'il en pince pour Ken…
Yamato lui caressa la joue pour le réconforter.
– Perd pas espoir, murmura-t-il.
– Très drôle.
– Je suis sérieux, frangin. Tu as dit que tu "crois" qu'il en pince pour Ken. Rien n'est sûr. Il faut jamais perdre espoir. Moi je l'ai toujours… Et puis c'est toi le plus mignon.
– Tu dis ça parce que je suis ton frère et qu'on se ressemble, se moqua un peu Takeru.
Yamato protesta pour la forme, et le sujet dévia.
L'année scolaire se termina, les examens se passèrent bien, et tous les Digisauveurs se réunirent pour aller passer une semaine dans une maison secondaire des parents de Ken. Sora s'arrangea avec les autres pour que Tai et Yamato soient dans la même chambre. Si Taichi comprit le stratagème, il n'en dit rien, comme d'habitude.
Il se coucha sur l'un des deux matelas posés par terre, s'effondra plutôt.
– Je te rejoins dans dix minutes, lança Yamato avant de ressortir de la chambre.
– Honhon.
Taichi entreprit de se lever pour enfiler un caleçon propre et son tee-shirt de nuit. Toujours aussi tête en l'air, il réussit à se prendre les pieds dans le fil électrique de l'unique lampe qui tomba, brilla très fort un court instant avant de s'éteindre.
– Oops. Plus d'ampoule.
Tai haussa les épaules, reposa la lampe sur la table de chevet et s'allongea sur le matelas. Quelques secondes plus tard, Yamato entrait dans la chambre.
– Taichi, la lumière s'te plaît.
– A plus. Cassée.
– …Tu rigoles ? Et comment je vais atteindre mon lit, moi ?
– Bah, il est à côté du mien. Guide-toi à ma voix.
Yamato avança prudemment dans l'obscurité. Son regard s'habituait un peu au noir, et il put localiser la forme de Taichi, garda les yeux fixés dessus pour savoir où il allait et trébucha sur le bout du matelas, s'écroulant de tout son long sur son ami avec un cri surpris. Ils gardèrent le silence quelques secondes, puis Yamato ouvrit les yeux, sursautant presque lorsqu'il se retrouva à quelques centimètres du visage de Taichi.
Il y eut un nouveau silence, un peu mal à l'aise, cette fois, puis.
– Ya-ma-to.
Il y avait une claire réprobation dans la voix de Taichi, presque de la colère. "Merde", pensa le chanteur. Ça allait tout foutre en l'air, toute leur amitié reconstruite, toute…
– Tu pues la cigarette.
Yamato s'immobilisa, ne sachant pas s'il était soulagé ou encore plus affolé. Il se redressa sans répondre et s'assit en tailleur. Taichi l'imita, et le blond pouvait sentir son regard sur lui.
– Depuis quand tu as recommencé ? demanda-t-il d'un ton un peu déçu.
– Quelques temps avant que tu partes, murmura Yamato.
– Tu m'avais promis.
– C'est juste une de temps en temps, se justifia le chanteur.
– Ça change rien, rétorqua Taichi. Je veux pas que tu crèves à trente ans à cause d'une cigarette une fois de temps en temps.
– Tai, tu crois pas que t'exagères un peu ?
– A peine. Si c'est pas trente ce sera quarante. Et puis ça abîme ta voix. Comment tu veux chanter correctement, hein ?
– Tai…
– T'es mon meilleur ami, Yama, dit-il doucement. Je sais pas ce que je ferais si t'étais pas là. Je veux pas te perdre.
Il y eut un silence, puis Taichi reprit, d'une voix un peu absente, comme s'il se parlait à lui-même. "Ça a été dur, six mois. J'aurais jamais cru que ça aurait pu être aussi dur. Tu sais, je…"
Taichi s'interrompit, hésitant. Yamato retenait son souffle, le cœur battant à toutes vitesses.
– Je… je voudrais t'aimer comme tu m'aimes…
– Tai… s'étrangla Yamato.
– Laisse-moi finir ! C'est difficile, alors laisse-moi finir avant que je réussisse à tout faire passer pour une gigantesque blague, supplia Taichi. Je voudrais vraiment apprendre à t'aimer comme tu m'aimes, parce que je supporte pas d'être si loin de toi, physiquement et spirituellement. Peut-être que je t'aime déjà, tu sais, mais il me faut le temps de le réaliser. Je te promets rien, au début, mais… Tu comprends ?
Yamato hocha la tête avec prudence. Sa vie se jouait peut-être à cet instant, il avait l'impression qu'il allait exploser.
– Alors… est-ce que… est-ce qu'on peut sortir ensemble ? Passer du temps comme des gens amoureux sont censés passer du temps, aller au cinéma pas comme des meilleurs amis mais comme un rendez-vous, ou un truc du genre. Pour que… que je m'habitue à l'idée.
– D'accord, acquiesça Yamato, et il s'émerveilla du ton calme qu'il avait, alors qu'à l'intérieur de lui c'était feux d'artifice, il aurait voulu hurler de bonheur, aller réveiller tout le monde pour leur dire que ça y'est, Taichi était à lui… ou presque…
– Je peux t'embrasser ? demanda le brun un peu timidement.
Yamato hocha la tête de nouveau, cette fois sur le point de s'évanouir. Il rêvait, ce n'était pas possible autrement… Il allait se réveiller… C'était trop beau…
– Ferme-les yeux, ça me rend nerveux que tu me regardes.
Le blond s'exécuta immédiatement. Il attendit, sentit le souffle de Taichi sur son visage, attendit, attendit… Au bout de quelques temps, confus, il rouvrit les yeux et vit que son ami - non, non, son petit ami, se rappela-t-il avec joie - s'était figé.
– J'y arrive pas, confia-t-il, penaud.
Ils se regardèrent dans les yeux quelques instants, puis explosèrent de rire au même moment. "On n'a pas l'air du toouuut de deux idiots", rigola Taichi, plié en deux.
"C'est toi, l'idiot", rétorqua Yamato, et il se pencha sans prévenir, déposant ses lèvres sur celles de Taichi, le cœur battant.
Courage se figea, surpris, les yeux grands ouverts, presque paniqué. Puis il se calma lorsque Yamato ne fit rien de plus, attendant qu'il réagisse, et il bougea ses lèvres contre les siennes, comme pour goûter, essayer.
Il avait les lèvres douces.
Quelques secondes plus tard, ils avaient jeté toute timidité, et s'embrassaient avec passion, sans retenue, comme si plus rien n'existaient en dehors d'eux.
Et Taichi se dit que d'une certaine manière, c'était vrai.
Le lendemain matin, lorsque Sora ouvrit la porte pour les réveiller, elle les surprit tous les deux sur le lit de Taichi, profondément endormis, et enlacés comme deux amants.
Elle sourit, s'empressa de prévenir les autres qui vinrent voir à tour de rôle en silence pour ne pas les réveiller, puis Sora referma la porte.
Au moment de faire demi-tour, Daisuke se prit les pieds dans ceux de Iori, voulut se raccrocher à Takeru pour ne pas tomber mais l'entraîna dans sa chute et se retrouva avec le blond un peu étourdi au-dessus de lui. Tout le monde éclata de rire, et Ken, moqueur, commenta : "T'es jaloux des deux autres, Dais ?"
Le garçon en question rougit furieusement, et Takeru sourit.
Yamato avait raison.
Il fallait garder espoir.
OWARI